Chronique de Caroline
Publié le : jeudi 14 avril 2005
Fespaco 2005

Je suis réalisatrice, scénariste, cinéphile et amie de Clap Noir. Le site m’a laissé faire ma petite chronique du festival… au jour le jour.



Jeudi 3 mars 2005
Tourbillon et fatigue qui commence à se faire sentir. Il fait chaud et lourd.

Parlant de cinéma africain, ce matin, je m’avale la conférence de la francophonie, qui fait bilan et perspectives, autour de Monsieur Crépeau, son responsable. Après le bilan d’Africa Cinéma, le souci récurrent posé par l’insuffisance du tissu de salles de cinéma, l’accent est mis cette année sur la nécessité de former des techniciens et cinéastes en Afrique. Le ton est plus calme qu’à la conférence d’avant hier sur le financement du documentaire, avec le même et d’autres, où Mama Keita avait explosé dans une diatribe féroce : « je suis choqué et blessé de voir notre position de mendiants, il y a quelque chose de profondément raciste dans cette scénographie : une table de Blancs, un public Noir…Cessez de vouloir contrer notre imaginaire… cessez de nous mettre dans une réserve indienne !… ». Une guilde des réalisateurs africains s’était constituée il y quelques années mais elle ne semble pas avoir choisi cette tribune pour exprimer son point de vue collectif. A suivre…

J’arrive en retard à ma séance de documentaires au CCF, passage au consulat de France oblige. Eh oui, comme de nombreux festivaliers cette année, je me suis fait voler mon portefeuille avec mon passeport à l’intérieur. Nasser Edine Benalia, qui présente demain son documentaire La casbah d’Alger, As Thiam, qui a présenté (en compétition) son court métrage Le sifflet, un joli conte africain intemporel, fait avec pureté, élégance et classicisme, je le conseille au passage, mais aussi Theboho Edkins, le réalisateur Sud Africain du très beau documentaire dont j’ai déjà parlé sur le Sida : Ask I’m positive, se sont eux aussi fait voler téléphone portable, portefeuille etc…

Ce stress contribue au malaise lié à des projections souvent écorchées. Tous s’en plaignent, à commencer par moi, dont le comité de sélection de la section vidéo dit ne pas avoir « reçu » ma cassette. Par Claude Haffner, dont le court-métrage, D’une fleur double et de quatre mille autres, un regard sur le cinéma africain à travers un hommage rendu à son père, Pierre Haffner, à travers la rencontre avec Tahar Cheria, l’un des pères fondateurs du cinéma africains à travers le festival de Carthage, a été programmé avec une heure de retard. Qui plus est, quand la réalisatrice a demandé réparation, un autre film s’est trouvé interrompu !! Bref, l’organisation laisse à désirer. Sans parler de Mama Keita dont le son du film, Sur la route du fleuve, pourtant passionnant, a été terriblement écorché du fait d’un mauvais réglage.

Les cas abondent. C’est mon deuxième Fespaco, j’essaie de tenir le rythme, mais pour un festival qui met cette année l’accent sur le professionnalisme, disons que ce n’est pas encore totalement acquis de ce point de vue…

Les docus du jour sont de nature inégale.

J’ai vu Aliénations, le très beau documentaire de l’Algérien Malek Bensmail, qui était sorti à Paris sur grand écran, preuve d’une grande qualité. C’est un film passionnant tourné à l’hôpital psychiatrique en Algérie. Et il est vrai que c’est, à travers ses pathologies mentales, une très belle et très subtile radiographie des maux dont souffre l’Algérie. On y parle beaucoup de politique et de la frustration et des crises qu’elle génère. On y voit l’emprise des mères sur leurs filles, notamment dans cette scène bouleversante où une jeune femme en pleine décompensation explique à sa mère qu’elle préfère prendre des cours d’informatique que d’aller à l’école coranique. Le regard du cinéaste est juste, fin. Les visages sont émouvants, empathiques. On s’attache à de véritables personnages. On ne tombe jamais dans le malaise voyeuriste, malgré une grande liberté dans l’approche. Quant aux psychiatres, c’est peut-être pour eux que le constat est dur. Ils semblent dépassés, à pratiquer une psychiatrie de plus en plus inadaptée, dans un pays où d’autres interprétations de la « folie » coexistent, où l’enfermement n’apparaît en aucun cas comme une panacée.

J’ai été moins touchée par le récit très ethnographique du Béninois Hubert Toussaint Kuiffo, Les doigts sacrés, qui décrit l’initiation d’un jeune homme par son père à devenir prêtre vaudou. Intéressant par les faits qu’il restitue d’une tradition, le film hésite trop pour moi entre une approche réellement scénarisée (qui serait le drame d’un instituteur appelé par son père à reprendre un rôle héréditaire, ce qui poserait le conflit entre tradition et vie moderne, finalement pas vraiment traité dans le film) et une description purement ethnographique d’une initiation. Cela manque de parti-pris, de sorte que l’on a l’impression de passer à côté du mystère. Comme si les forces du vaudou s’étaient protégées d’être filmées ?

Au fait, parlant de cinéastes béninois, je dois signaler la Valse des gros derrières, le dernier opus du Béninois Jean Odoutan, vu pour ma part à Paris en projection, avec la belle Mata Gabin. C’est un film qui pêche peut-être par des maladresses scénaristiques ou techniques, mais c’est un film, qui, à la différence des trois autres de notre prolixe Béninois, Barbecue Pejo, Djib et Mama Aloko, est porté par une rage, une crudité, un humour glacial que je trouvent très marquants. Pas de bons sentiments, pas de gentils africains au large sourire bon enfant dans La valse. Dans La valse, tout le monde se tire dessus. Il me semble que l’on montre rarement la dureté des relations au sein de la communauté africaine à Paris. Et à travers l’histoire de cette coiffeuse, qui monte son salon et tente d’échapper à l’emprise de son mec/mac/flic, incarné à chaque fois par un Jean Odoutan diabolique, c’est chose faite et sans complaisance. Pour ceux qui continuaient à penser que Paris Dix-Huitième, c’était l’Eldorado !

Je ne peux m’empêcher de parler d’un film qui m’a émue, moi, la Française qui suis tombée amoureuse d’un Africain et qui ai expérimenté la complexité de cette rencontre. C’est le film de Laurence Attali, Le déchaussé, moyen métrage de fiction. La réalisatrice, qui tourne ses films au Sénégal, n’est plus à présenter, elle est ici, sans jeu de mots, connue comme le loup blanc. Ici, dans un film à la narration surréaliste, où la musique, un mélange de rythmes sénégalais et de violon, est narratrice, la réalisatrice nous conduit dans le trouble d’une femme Blanche qui aime un Africain. Celui-ci est le frère de son ex décédé, ce qui n’arrange rien à l’affaire. Elle est amoureuse et sans cesse, elle réclame le mariage, les enfants, l’attention que cet homme ne veut ou ne peut lui donner. Cette femme qui cherche son identité (elle change de perruques plusieurs fois durant le film) tente de retenir un homme qui lui échappe. Elle passe par une mise en scène judiciaire, où elle convoque bible, traditions africaines etc., pour accepter finalement que le « déchaussé », c’est à dire cet homme à qui elle a pris sa chaussure en gage de son engagement non tenu vis à vis d’elle (elle s’appuie sur la tradition du lévirat, commune à la bible et aux coutumes wolof, selon laquelle un frère s’engage à reprendre l’épouse de son frère en cas de mort de ce dernier). Pour moi, l’intérêt du film est la manière dont il montre la détresse de cette femme qui rompt avec ses traditions, mais qui est hantée par elles et qui s’efforce de les faire coïncider, d’accepter que l’homme qu’elle aime est insaisissable et incompréhensible, mais que c’est avec elle-même qu’elle doit se réconcilier.

Caroline Pochon
02 mars 2005

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