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Dani, le conteur qui fait rêver positivement
Publié le : jeudi 4 janvier 2007

En général, les films africains finissent difficilement parce que les problèmes sont tellement corsés qu’on n’ose pas rêver d’un happy end. Parfois, je crois que c’est bien de faire rêver positivement, de créer l’espoir.

"je crois que c’est bien de faire rêver positivement, de créer l’espoir". Dani Kouyaté.

C’est dans les locaux de sa maison de production à Ouagadougou que Dani Kouyaté a reçu Alfred Tiendrébéogo, un jeune journaliste passionné de cinéma. Alfred nous livre ici la substance de son entretien avec Dani Kouyaté. Dani a terminé le tournage de son dernier long métrage, Ouaga Saga le 29 mai à Ouagadougou. La post-production est prévue pour le mois de septembre à Paris, et la sortie du film pour avril 2004.

Alfred Tiendrébéogo : Quel est l’intrigue de votre dernier film Ouaga saga ?

Dani Kouyaté : Ouaga saga est une comédie urbaine qui s’adresse aux jeunes. C’est un hommage à la jeunesse ouagalaise et du même coup à la jeunesse africaine qui n’a rien mais qui se bat et garde espoir. Ce film ne prétend pas traiter tous les problèmes de toute la jeunesse du Burkina-Faso. Ce serait prétentieux dans un seul film. Par contre, le film suit une bande de copains du secteur informel. Ce sont des jeunes de la rue qui sont autour du marché et qui se débrouillent pour survivre. Je rentre dans leur univers pour découvrir leur vie, leurs joies et leurs peines. Ce qui est intéressant cinématographiquement parlant, c’est qu’il y a un happy end où chacun réalise son rêve. Ce qui est plutôt rare. En général, les films africains finissent difficilement parce que les problèmes sont tellement corsés qu’on n’ose pas rêver d’un happy end. Parfois, je crois que c’est bien de faire rêver positivement, de créer l’espoir.

Alfred Tiendrébéogo : C’est Sya, le rêve du python qui vous a définitivement lancé comme cinéaste accompli. Vous y abordé un thème politique. Un rapport avec la situation politique qui prévalait dans notre pays ?

Dani Kouyaté : Sya, le rêve du python est une métaphore politique universelle. Ce qui est marrant, c’est que partout où il est projeté, les gens pensent qu’il est lié à leur situation. Quand le film est sorti en Côte d’Ivoire, c’était au moment de la crise ivoirienne, les Ivoiriens voyaient les protagonistes de la scène nationale chez eux. Ils ont pensé que j’ai fait le film pour leur contexte. Les schémas de la politique sont les mêmes partout. Ce sont les détails qui changent. Quand on lit Machiavel, on se rend compte que tous les hommes politiques du monde entier se comportent de la même façon. Les rapports entre l’homme et le pouvoir, le mystère et le pouvoir sont universels. Des Norbert Zongo, il y en a partout selon différentes manifestations. Ici, on dira que le fou, c’est Norbert Zongo. Ailleurs, on dira que c’est une autre personne qui n’est peut-être pas morte ou qui va l’être.

Alfred Tiendrébéogo : Quel bilan faites-vous du dernier Fespaco ? Certains ont trouvez que l’organisation et la production régressent.

Dani Kouyaté : Les gens râlent toujours. C’est abusif de dire que l’organisation régresse. Pour une fois, les gens étaient assez unanimes que l’organisation s’était ressaisie. Beaucoup de choses se sont bien passées. On a eu des années pires.
Là où on patine, c’est dans la production. Nos gouvernements n’ont pas encore pris conscience que le cinéma est un enjeu et qu’ils doivent s’impliquer plus. Au Burkina Faso, on parle encore de cinéma parce qu’il y a le Fespaco, sinon, il allait être un ovni comme au Niger ou au Mali où le gouvernement s’en soucie peu.

Alfred Tiendrébéogo : Actuellement, il y a une prolifération des festivals de cinéma en Afrique. Est-ce que vous ne pensez pas que nous dispersons nos forces ?

Dani Kouyaté : Je ne pense pas. Le Fespaco existe déjà, il est très gigantesque à tel point qu’il est en train de se faire manger par sa grandeur. Il ne faut donc pas tout ramener au Fespaco. La décentralisation des festivals n’est pas une mauvaise chose. Au contraire, cela stimule l’intérêt des politiques pour le cinéma. Un festival ne gène pas un autre.

Alfred Tiendrébéogo : Baisse de la production, fuite des talents, surtout problème de financement : ce sont les problèmes du cinéma africain. Pour votre film, quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Dani Kouyaté : Les problèmes sont toujours les mêmes : le financement des films. Ils sont financés par les subventions, par l’argent public, par le ministère des affaires étrangères en France ou par tel ou tel gouvernement. Or, l’argent public est aléatoire, donc le cinéma l’est aussi.
Peut-être qu’avec l’avènement des nouvelles formes et techniques de cinématographie comme le numérique, on va acquérir une autonomie de production. Les coûts de production vont baisser parce que nous aurons la possibilité de maîtriser les outils. Aujourd’hui, nous arrivons à faire des films numériques. Plus besoin du laboratoire, les images sont immédiatement disponibles. Nous pouvons réaliser le montage sur place. La donne va changer. Nous allons produire avec plus de liberté et de folie. Nous allons devoir nous adresser à notre propre public et à notre propre marché africain.

Alfred Tiendrébéogo : Selon vous, le cinéma africain a de beaux jours devant lui. Pourtant les anglophones reprochent au cinéma francophone d’être trop tourné vers la France.

Dani Kouyaté : Les anglophones n’ont pas tort. Ce n’est pas seulement le cinéma. Tous les pays francophones du monde sont tournés vers la France. C’est une question de politique impérialiste. La colonisation anglaise n’a pas été identique à celle française. Les Français ont d’abord colonisé nos cerveaux. Ce qui intéressait les Anglais, c’était le matériel : l’argent, l’or, les mines… De plus, la France n’a jamais coupé le cordon ombilical.

Alfred Tiendrébéogo : Paradoxalement, le cinéma africain n’émerge pas à Cannes. Pourquoi ?

Dani Kouyaté : Le problème du cinéma ne se pose pas en termes de cinéma africain mais en termes de cinéma tout court. Quand on va en Europe, en Amérique, en Asie, c’est la loi de la jungle. La France elle-même, se bat avec beaucoup de muscles, à coût de subvention, pour que son cinéma ne soit pas étouffé par les grosses productions américaines. C’est ce qu’elle appelle l’exception culturelle.

S’agissant de Cannes, c’est un festival international. Tous les cinéastes rêvent de Cannes alors qu’il n’y a pas plus de 20 films en compétition officielle. Ne pas avoir de films sélectionnés à Cannes, ce n’est pas une honte. La présence à Cannes ne signifie pas la bonne ou la mauvaise santé. C’est juste un plus.

Alfred Tiendrébéogo : Pour vous aussi, Cannes c’est un rêve ?

Dani Kouyaté : Ben oui ! Le Fespaco aussi est un rêve. Le cinéma, c’est du rêve. Les gens font des amalgames.

Alfred Tiendrébéogo : Votre cri de cœur ?

Dani Kouyaté : C’est une question difficile. J’émettrai plutôt une inquiétude qui est la formation. Il y a très peu de jeunes qui sont formés actuellement. Nous qui sommes censés être les jeunes du cinéma africain, nous sommes déjà vieux. Quand on se retourne, il y a très peu de relève. Il faut que les jeunes s’intéressent plus au cinéma pour qu’il n’y ait pas de rupture dans quelques années.

Interview réalisée par Alfred Tiendrébéogo
Journaliste.

Filmographie de Dani Kouyaté
 Bilakoro, court métrage, 1988
 Tobbere Kosam, poussière de lait, court métrage, 1990
 Larmes sacrées de crocodile, court métrage, 1992
 Kéïta ! L’héritage du griot, long métrage, 1995
 A nous la vie, série de 12 épisodes, 1998
 Sya, le rêve du python, long métrage, 2000. Site web : www.sialefilm.com

Le site web de Dani Kouyaté : http://www.dani-kouyate.com

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