Accueil > Archives > 2003 > Qui se souvient de Zalika Souley ?
Qui se souvient de Zalika Souley ?
Publié le : jeudi 25 novembre 2010
Al’lèèssi... Une actrice africaine



Lire la fiche Al’lèèssi, une actrice africaine




Qui se souvient de Zalika Souley ? Star dans les années 1960 -70 , elle s’est battue contre les tabous tout au long de sa carrière pour rester fidèle à sa passion. Sa période de gloire correspond aux plus belles années du cinéma nigérien aujourd’hui quasiment inexistant. Dans "Al’lèèssi, une actrice africaine", Rahmatou Keïta, à travers le portrait de cette actrice hors du commun, rend un vibrant hommage à l’époque faste et presque oubliée du cinéma nigérien.

C’est à Paris fin 2003 que Rahmatou Keïta avait reçu Clap Noir pour cet entretien.

Clap Noir : Quelles ont été vos motivations pour réaliser ce film ?

J’ai grandi à Niamey et toute petite je voyais ces gens qui faisaient du cinéma. Parmi eux Zalika Souley m’intriguait. Elle se faisait insulter par tout le monde y compris sa famille et ses parents et continuait malgré tout à être actrice. Elle portait des jupes et des jeans dans un pays où il y a beaucoup de retenue et de pudeur. On crachait sur ses traces, dans la rue, après son passage. Et c’était la première actrice africaine à avoir fait carrière dans le cinéma africain en dehors de l’Egypte (qui a une place particulière dans l’histoire de notre cinéma). Le Niger a été le premier pays à créer une industrie du cinéma sur notre continent. Je me demandais comment elle avait fait pour vivre dans un univers aussi hostile et je voulais également comprendre comment le cinéma est arrivé chez nous. "Al’lèèssi..." veut dire un destin en Sonrhay.

Les années 60 sont les années des indépendances, les révoltes contre l’occident et les pays colonisateurs atteignent un point de non retour. Les guerres contre la France, l’Angleterre, le Portugal éclatent partout en Afrique pour se libérer de l’innommable... C’est dans ces années-là que l’on commence à faire du cinéma. Donc, dans cette atmosphère, tout ce qui vient de l’occident est mal perçue. Cette fille est donc considérée comme une collabo car elle fréquente des Blancs, fait un travail de blanc, s’habille comme des Blancs. Elle est donc mal vue et malgré tout ne s’en cache pas !!! Je voulais raconter l’histoire du cinéma nigérien à travers son histoire.

Aujourd’hui est-il toujours aussi difficile pour une Nigérienne d’exercer le métier d’actrice ?

Je pense que cela sera toujours mal vue, ce n’est pas une question de femme, c’est une question de faire ce qu’il n’est pas convenable de faire ! Déjà on n’a pas à s’exposer. Quand je suis retournée au Niger, j’ai voulu interviewer d’autres actrices de l’époque. Les filles ont toutes refusé et vingt ans après aucune d’entre elles ne voulaient repasser dans un autre film, c’est dire combien il est difficile de s’exposer.

Comment avez vous conçu la réalisation de votre film ?

J’ai construit ce film sur une journée de Zalika du premier chant du coq aux dernières lueurs du soir. J’aime particulièrement le Sahel et les lumières qui l’arrosent, l’hiver. Ça va de la brume de l’aube et du blanc blafard, éclatant et aveuglant du matin au bleu rosé juste quelques rares minutes après le coucher du soleil, en passant par l’oranger, la couleur jus de colas du crépuscule et les petites pluies d’or sur Iss’Berr (que les blancs appellent le fleuve Niger) vers 16h, pour enfin s’estomper dans le rose violacé, le mauve, le rouge pourpre et le bleu indigo, puis le bleu nuit, juste avant la nuit noire et sourde. J’ai voulu m’approcher le plus près de ces lumières, de cette beauté et l’offrir aux autres.

Tout le film a été mis en scènes. Par exemple si vous prenez la séquence de la sieste, elle est intégralement mise en scène, j’ai reconstitué la chambre, composé l’éclairage, entrouvert la fenêtre pour laisser entrer la lumière qu’il fait au moment de la sieste et dirigé Zalika pour qu’elle joue un sommeil agité par ses souvenirs de souffrances. Ses enfants dans le documentaire ne sont pas ses enfants, ce sont ses cousins, ses nièces et neveux.

L’histoire personnelle de l’actrice Zalika Souley qui est passée de la lumière à l’ombre n’est-elle pas une métaphore de l’histoire du cinéma nigérien productif et brillant dans les années 60 puis quasiment inexistant aujourd’hui ?

C’est une métaphore du Niger ! Car il y a plein de choses qu’on a démarré dans mon pays avec brio et qui sont tombés en désuétude de nos jours. Je me souviens quand on était petite le Niger ravitaillait les pays voisins en céréales en période de pénurie. Aujourd’hui le Niger est plus pauvre que ces voisins. Si notre cinéma a été le premier d’Afrique, il n’existe plus. On ne tourne plus de film excepté Djingarey Maïga qui de temps en temps tourne des films dans des conditions impossibles en transformant toute sa famille en équipe et techniciens de cinéma.

Pourquoi Djingaray Maïga, un réalisateur aussi important dans l’histoire du cinéma nigérien, n’apparaît-il pas dans votre film ?

Ça, il faudra le lui demander... Mon intuition, c’est peut-être un vieux contentieux avec Zalika Souley... Mais je me trompe peut-être. Ce que je peux dire, c’est qu’il ne l’a jamais dénigrée et m’a autorisée à utiliser les extraits de tous ses films.

Le Niger est aujourd’hui un des pays les plus pauvres du monde, mais cela suffit-il à expliquer l’inexistence de la moindre production nigérienne ? Qu’en pensez-vous ?

Il y a un manque de dynamisme et de volonté politique de la part du gouvernement nigérien pour soutenir le cinéma nigérien. L’État nigérien pense qu’il y a d’autres priorités telles que l’alimentation, la santé et l’éducation.

Mais ce que l’État semble ignorer c’est qu’on ne peut pas exister sans culture. Un peuple n’est rien sans ses langues, sans ses civilisations, ses repères... On n’est pas des animaux qui ont juste besoin de manger et d’aller se reposer sous le baobab. L’être humain a besoin de plus que ça et j’espère que je leur ferai comprendre cela.


Rahmatou Keita et Mustapha Alassan

Quel soutien avez vous reçu de l’État nigérien ?

Pour faire ce film ? Aucun. La télévision nigérienne a refusé de faire une coproduction avec moi. J’ai pourtant reformulé ma demande de coproduction pendant 4 ans à trois directeurs généraux différents. Un ministre de la culture - en 2002 - a refusé de la cautionner afin que je puisse avoir des fonds d’un organisme international. Je ne demande pas de soutien financier à mon pays, je sais que mon pays n’a pas d’argent. La co-production, c’est juste une signature, une promesse de diffusion du film, qui est indispensable pour trouver des financements auprès des structures de soutien de la création qui existent dans les pays du Nord. Je trouve extraordinaire que la télévision de mon pays me refuse cela. Je trouve terrible qu’un Ministre de la Culture refuse de soutenir un film relatant l’histoire du cinéma nigérien. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, c’est affligeant !

Comment avez vous finalement financé ce film ?

C’est le Burkina Faso qui m’a tendu la main et c’est ainsi que j’ai pu avoir accès aux fonds pour financer le film. Les fonds les plus importants sont venus de l’Union Européenne et du Ministère des Affaires Étrangères. J’ai mis 6 ans à faire ce film, j’en ai bavé, j’y ai laissé des plumes. Mais j’ai choisi de faire ce film. Et je suis heureuse d’y être arrivée, malgré le mépris, l’injustice et la haine... l’amitié, l’amour et l’affection, le respect ont triomphé cette fois-ci.

Quel intérêt a rencontré votre film auprès des chaînes de télévision internationales ?

En France on ne s’y intéresse pas du tout ! J’ai propose le film au service du documentaire de France 2. je leur ai montre les 40 premières minutes du film et le directeur du service m’a répondu qu’il trouvait le film intéressant mais qu’il n’avait pas un public africain en France. J’ai trouve cette réponse bête et méchante et pitoyable. J’avais subitement pitié du blanc qui me parlait. Vous savez, c’est exactement ça le racisme. On ne voit pas un film... on voit un film "africain", or l’Afrique est dépréciée... donc votre film l’est également et ainsi de suite. On fait un
film pour un public point final ! On ne fait pas un film pour un public précis. Un film c’est une oeuvre d’art. On l’aime ou on ne l’aime pas... mais une oeuvre n’est pas une question ethnique...

ARTE - France a refusé de prendre mon film. Leur argument, c’était qu’ils avaient déjà acheté quatre films africains, qu’ils n’arrivaient pas à diffuser encore. Alors, je leur ai répondu qu’en France on était donc dans des quotas ! Qu’ils le disent une fois pour toutes, au lieu de s’abriter derrière des lois d’égalité soit - disant républicaines... c’est ce qui rend le système français si pervers. Nous sommes dans des quotas et le quota c’est zéro. Puisqu’aucun des quatre films préalablement achetés, n’a pu être diffusé. Un autre service de ARTE France a aussi dit que mon film était trop pointu !! En fait quand on ne veut pas de quelqu’un on trouve toujours une bonne raison pour l’éjecter... aux États Unis et au Canada ils veulent mon film comme des malades ! Je le leur enverrai dès qu’il sera traduit. Pour l’instant ce film va exister à travers les festivals. Il a déjà eu le prix du meilleur documentaire au festival de Montréal "Vues d’Afrique" et je viens de le proposer au festival de Sundance et de Berlin. Et puis on verra.

François Bergeron
Décembre 2003

Également…
1

Clap Noir
Association Clap Noir
18, rue de Vincennes
93100 Montreuil - France
Tél /fax : 01 48 51 53 75