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La parole à Sunjata, réalisateur du film "Identités"
Publié le : lundi 15 janvier 2007

Réalisé en vidéo par un artiste provenant de la scène hip-hop, "Identités" est un documentaire caméra au poing tourné en Côte d’Ivoire mais surtout en France. Le film mélange entretiens et scènes de transition parfois fictionnelles parfois poétiques. Sunjata part en quête des identités, celles de toutes les Afriques qu’il faut préserver.

Pour trouver et ne pas oublier, sans se presser, à l’image d’un élève à l’écoute, il part à la rencontre de ceux qui nous enseignent et nous transmettent, les gardiens de la mémoire et des traditions… les artistes : Dani Kouyaté, Manu Dibango, Ray Lema, le père du réalisateur Souleymane Koly….

Même si le film se dote volontairement d’un rythme lent et de quelques scènes inégales, il s’en dégage un parfum de respect et d’humanité. Le public est chez lui, avec les artistes.

Ce qui aurait pu devenir rapidement une quête introspective et narcissique, reste dans le domaine du collectif…en toute humilité.

Quel lien fais-tu entre Sunjata, ton nom d’artiste, et tes origines ?

Sunjata : Mon nom exprime à mon sens à la fois le paradoxe et le mélange des racines et de l’esprit urbain du mouvement hip-hop duquel je viens. Sunjata était un empereur malien du 13ème siècle.
Ma formation culturelle, idéologique, mon rapport à l’art vient du hip-hop. C’est un rapport à l’immédiat qui tente de garder précieusement une certaine forme d’authenticité. Cela m’a permis de mener des réflexions à la fois sur le son et l’image, sur les différentes manières de lutter contre la pensée unique.

Quelles raisons t’ont amené à réaliser ce film ?

J’ai fait 2 court-métrages avant et j’ai monté une télé sur le Web : " TV liberté ". Il y a une volonté de " ré-appropriation " du discours. Pour le film " Identités " c’était surtout la volonté de réfléchir au sens refléter… comme le disait Sembene Ousmane : " passer le miroir devant son peuple ", pour que son peuple voit à quoi il ressemble. L’idée est de filmer les gens, non pas avec distance mais de l’intérieur, se mettre au centre. Filmer ce rapport à l’apprentissage, cette quête et les rencontres.

Ton film a changé d’axe en cours. L’as-tu construit à l’écriture ou plutôt au montage ?

Il y a eu deux périodes de travail : au départ, le projet était de faire un film sur l’ensemble Kotéba, la compagnie de mon père Souleymane Koly. Mais entre temps il y a eu les événements en Côte d’Ivoire et la couverture médiatique avec tous ses raccourcis, qui ne reflétaient pas la complexité de la situation. Donc mon écriture s’est transformée. J’aime cette devise du cinéma novo brésilien : " Il faut un idée dans la tête et une caméra dans la main ". On est parti dans ce sens-là, sur le traumatisme et les rencontres.

Il fallait filmer avec humilité, parce que les gens que l’on rencontrait étaient plus grands et plus vieux que nous. Côté réalisation, le cadre est souvent figé et on m’a d’ailleurs suggéré que le rythme était lent, mais pourquoi aller vite ? Aujourd’hui on est dans une culture du clip, du rapide. Pourquoi ne pas provoquer et revenir à une autre norme ?

Les rencontres que tu fais dans le film ne sont pas fortuites, tu sembles avoir structuré ton film avec une certaine logique.

Le morceau de la fin est un morceau de hip-hop, c’est pour montrer toutes les racines. Comme Dani Kouyaté l’explique au début, nos racines émergent de la musique, de la danse, de l’expression corporelle et avant tout des traditions transmises par le langage, l’oralité du griot. Ses paroles sont des paroles de réconfort qui te permettent de retrouver tout ce patrimoine lié à un passé encore vivace. On reconstruit ainsi une sorte de carte qui s’est morcelée par l’image. Dans l’ordre il y a le traumatisme, puis la quête et enfin l’arrivée vers le patrimoine représenté par le père. On est dans un système patriarcal.
Vers la fin le contenu devient plus dur, entre dans une réalité de combat. C’est cela la signification de la phrase de fin : c’est qu’il faut se regarder et essayer de construire l’homme, c’est un combat sur nos faiblesses, sur nous-même. En terme de réalisation, je crois que le fait d’avoir un parti-pris, de se mettre en scène, fait que l’écriture se fait toute seule.

Tu as choisi d’intégrer une scène de fiction à la fin de ton film qui a pourtant un récit plus proche du documentaire…

Oui mais ça n’est pas vraiment une fiction. C’est du vécu de tous… Presque du stéréotypé. Cela permettait de désamorcer une forme de tension, parce que le reste du film était assez lourd. Je l’ai mis à la fin parce que dans la plupart des films comme souvent dans les films américains il y a une scène forte dès le début… Peut-être faut-il repenser à nos mythes cinématographiques et prendre le temps d’installer les choses. Il faut être patient. La fiction permet la transition entre tous ces gens rencontrés et la dernière rencontre avec le Père.

Dirais-tu que c’est plus un film sur le refus de la perte d’identité que sur la quête d’identité ?

Ce n’est pas le refus de la perte d’identité. D’ailleurs, je ne pense pas que l’on perde son identité, il faut savoir douter de la façon dont on vit. " Le progrès humain passe par l’exploration du doute ", disait Salman Ruschdi. Chaque jour que Dieu fait, il faut remettre en cause nos fondamentaux. Tout cela reste une quête d’identité, parce que tout ce que l’on apprend, nous devons le passer au filtre de la remise en cause et du questionnement permanent. Encore plus quand il y a des situations violentes qui nous sautent à la figure.

Comptes-tu poursuivre dans ce sens, quels sont tes projets ?

Je me sens artiste à part entière. Je veux écrire, créer des sons, faire un album, mais surtout pas réaliser 10 films d’affilée avec les mêmes recettes ! Il faut tout le temps se pousser à prendre des risques. C’est ça le sens de la vie : notre capacité à nous mettre en difficulté.

Jean-Jacques Cunnac
Clap Noir

Identités de Sunjata, DV, 1h34

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