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Nous avons fait ce que nous avons à faire
Publié le : dimanche 10 juin 2007

Le 13 décembre passé, au Burkina Faso, les amis de Norbert Zongo vivaient l’anniversaire de son assassinat. Norbert a périt le 13 décembre 1998, brûlé dans son véhicule avec trois compagnons d’infortune. A la suite de cet tragique événement, un film a été réalisé par Abdoulaye Diallo et Luc Damiba. Borry Bana, c’est-à-dire, la fuite est terminée.







Abdoulaye Diallo et Luc Damiba
(Photo SEMFILM)

Clap Noir : Vous avez co-réalisé avec Luc Damida, le film « Borry Bana ». Ce film retrace la vie du journaliste Norbert Zongo. Sa tragédie aussi. Pourquoi le titre « Borry Bana », la fuite est terminée ?

Abdoulaye Diallo : Norbert a utilisé les propos de Samory Touré, Borry Bana, quand il lançait son journal l’indépendant. L’indépendant a été son borry bana, son dernier combat. C’est une image très forte. A travers son journal, Norbert a voulu affronter son destin. Et nous savons ou ce destin l’a mené. C’est pour toutes ces considérations, que nous avons choisi comme titre pour le film Borry Bana. Nous pensons que c’est un titre assez fort.

Ce film, est-il l’hommage d’un admirateur ? Est-ce pour rappeler que l’affaire n’est toujours pas close ?

C’est tout cela. Que ce soit Luc ou moi, nous avons tous connu Norbert. Nous avons donc cette volonté de rendre hommage à quelqu’un que nous avons apprécié et qui nous a beaucoup marqué. Nous avons aussi eu la volonté de reconstituer l’histoire. C’est la première fois que l’assassinat d’un homme cause autant de remous dans l’histoire d’un pays. C’est enfin une manière pour nous de dire qu’il faut que toute la vérité se fasse dans cette affaire. Voila quelqu’un qui a été assassiné de la manière la plus sauvage qui soit parce que tout simplement il a fait son travail, le plus honnêtement du monde.

Pourquoi le choix du genre documentaire pour faire ce film ?

Les images parlent beaucoup. On dit souvent que les livres sont froids mais les images sont vivantes. Le choix du documentaire était pour nous une option qui nous permettait de faire passer comme message, la passion que Norbert avait pour la liberté. Nous avons put à travers ce film proposé aux spectateurs, des moments forts du combat de Norbert pour la liberté d’opinion, des moments forts du mécontentement populaire mais aussi la vision que les parents de Norbert ont de l’assassinat de leur fils, frère et père.

Vu la sensibilité du sujet, le tournage a-t-il été facile ?

Comme nous étions conscients de la difficulté de faire un film sur l’affaire Norbert Zongo, nous avons travaillé en fonction de tous cela. Il faut dire qu’aussi bien Luc que moi, nous sommes des hommes de terrain. Dans l’approche, nous savions où pouvait se trouver les embûches. Nous avons travaillé dans la discrétion.

Et la distribution du film ?

Au Burkina, le film n’a pas été distribué. Nous avons organisé une diffusion au Centre Norbert Zongo, une autre avec les étudiants et une province du pays a demandé une projection. Les salles du Burkina ont refusé la diffusion du film, les centres culturels aussi, la télévision. Les bailleurs de fond ont eux aussi refusé de financer le film. L’argument est toujours le même, le film touche un sujet sensible. Vous savez que faire un film demande des moyens. Pour le film, nous avons du faire appel à Amnesty International, à l’institut Panos. Quand Panos a accepté co-produire le film, tout a été pour le mieux. Amnesty a mis gracieusement à notre disposition sa salle de montage.

Le film a été présenté à plusieurs festivals de cinéma à travers le monde et a fait très bonne impression. Au festival Vue d’Afrique, le film a reçu la mention du jury, à Ecran Noir à Yaoundé, le film a reçu un standing ovation. A Namur, à Oslo, à Paris, à Sithenghi le film été projeté. Nous avons aussi reçu un prix au Festival Lagunimages à Cotonou.

Donc, nous pouvons espérer que ce film sera en compétition au Fespaco ?

On pourra peut-être agréablement surpris de voir notre film retenu au Fespaco. Mais, nous pensons que la censure qui ne dit pas son nom se fera.

Mais, le film a été diffusé à Ouaga sans aucun problème…

Oui, mais dans un cadre bien précis. Celui du Centre Norbert Zongo. Peut-être ne veut on pas que le film sorte de ce cadre. La diffusion publique elle n’a pas encore eu lieu.

Le message de ce film n’est-il pas tourné vers le passé ?

Ce n’est pas cela. Nous avons voulu faire passer un véritable message d’espoir. Un message tourné vers l’avenir. C’est le message d’un homme qui a refusé les honneurs, bien matériels pour faire simplement son travail. En Afrique, nous avons tellement de personnes qui ne font pas leur travail que si à l’exemple de Norbert, ils pouvaient faire leur travail, nous allons sortir gagnant. C’est aussi pour nous l’occasion de dire travaillons pour que ce ne soit pas toujours les mauvais qui gagnent, mais que les bons aussi gagnent. Nous n’avons plus envie de faire un film sur un héros qui est mort. Si je dois refaire un film, je préfère le faire sur un héros qui est vivant.

Un moment fort du film. A la question « est-elle prête à pardonner », la mère de Norbert dit non.

Elle donne les raisons pour lesquelles elle ne pardonne pas. Elle veut savoir ce que son fils a fait pour être tuer de la sorte. Vous savez, quand on parle du pardon, elle ne se décrète pas comme dit le Pr Ki Zerbo dans le film. Le pardon se mérite. Elle ne veut pas qu’on vienne acheter le pardon. Elle souhaite simplement savoir, pourquoi son fils a été tué et son corps brûlé. Vous savez, brûlé un mort est un symbole très fort en Afrique. Cela signifie que cette personne est tellement nuisible qu’il faut le brûler pour que même son corps ne soit pas accueilli par les ancêtres. Vous voyez un peu la portée de la chose. Je suis convaincu que cette dame, le jour ou ceux qui lui ont fait du mal viennent la voir et lui demander pardon, elle le donnera.

Ce film est-il votre borry bana, votre dernière lutte ?

Non. La lutte doit continuer. Nous avons fait un film, cela a plut à certains, pas à d’autres. Nous nous excusons auprès de ceux qui n’ont pas apprécié le film. Mais, nous avons fait ce que nous avons à faire.

Candide Etienne

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