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Cinéma nigérien, les prémices d’un nouveau départ se dessinent
Publié le : dimanche 14 janvier 2007

Du 23 février au 1er mars 2004, se tiendra à Bamako la deuxième édition d’Etonnants scénarios, un cursus de formation à l’écriture de scénario et au développement de projets d’adaptation d’œuvres littéraires pour le cinéma. Le Niger sera présent avec "Talibo un enfant de quartier" d’Adamou Idé.

Du 23 février au 1er mars 2004, se tiendra à Bamako la deuxième édition d’"Etonnants scénarios", un cursus de formation à l’écriture de scénario et au développement de projets d’adaptation d’œuvres littéraires pour le cinéma. Le Niger sera présent avec "Talibo un enfant de quartier" d’Adamou Idé. Cette édition regroupe des professionnels de cinéma (Scénaristes, Réalisateurs, Producteurs qui ont les droits sur un roman). Ousmane Ilbo Mahamane, producteur, sera à Bamako avec le jeune poète Omar Kadry Koda qui fera ses premières armes dans l’écriture cinématographique. Clap Noir a rencontré, le producteur O.Ilbo Mahamane et l’auteur roman, Adamou Idé.

Clap Noir : félicitations M. Ilbo, pour cette sélection qui honore le cinéma nigérien. Il n’y a pas très longtemps vous étiez à Sud Ecriture (Tunis et Dakar) afin de finaliser l’écriture de votre scénario intitulé "Hatsari" et voilà qu’un deuxième projet se met en place, parlez-nous de ces deux projets. Est-ce qu’on peut dire que l’année 2004, sera celle de la relance de la production cinématographique nigérienne ?

Ilbo Mahamane : Merci. En effet, après l’atelier Sud Ecriture à Tunis et à Dakar, où nous avons travaillé, encadré par le scénariste français Jacques Akchoti, professeur à la FEMIS (France), on peut affirmer que le premier scénario est terminé. Et voilà que mon second projet d’adaptation d’œuvre littéraire au cinéma vient d’être sélectionné pour participer à étonnants scénarios à Bamako. Les deux cycles ont tous le même objectif qui est celui de créer des œuvres cinématographiques de qualité. L’un dans l’autre ces deux ateliers tiennent leur originalité dans le fait qu’ils traitent des questions spécifiques du développement de l’écriture cinématographique. Si "Etonnants scénarios" est dans sa deuxième session, Sud Ecriture est à son neuvième atelier et a aidé des scénarios qui ont donné des films sélectionnés à Cannes et à Venise. Si on se tient à cela, on peut affirmer que les prémices de la relance de la production cinématographique nigérienne sont réelles. Vous savez, en matière de cinéma, plusieurs choses concourent à la réalisation des projets. Pour ce qui est de compétence humaine, nous sommes convaincus d’aller jusqu’au bout de nos idées. Mais l’autre pan, le plus décisif est le côté politique. J’espère que ces deux grands projets pour le Niger seront accompagnés par la création des conditions de pérennisation. Comme vous le savez, ce n’est pas uniquement la production cinématographique qui peut faire marcher le cinéma, mais la prise en compte simultanée des secteurs tels que la distribution et l’exploitation notamment.

Comment avez-vous découvert l’œuvre d’Adamou Idé ?

Ilbo Mahamane : Un producteur est toujours à la recherche d’œuvres de qualité qui peuvent donner des grands films. Talibo, qui est une histoire de notre pays où s’entremêlent des faits sociaux sur fonds politiques de 1960 à 1990, mérite une attention particulière pour tout intellectuel qui veut apporter quelque chose dans le développement économique et social de son pays.

Adamou Idé, écrivain

M. adamou Idé, votre roman "Talibo, un enfant du quartier", publié aux éditions de l’Harmattan à Paris en 1996, a été sélectionné pour participer à la deuxième session de l’atelier "Etonnants scénarios". Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Adamou Idé : J’ai été très agréablement surpris d’apprendre cette heureuse nouvelle pour la littérature et le cinéma nigériens. En effet, ces deux secteurs de l’activité culturelle au Niger souffrent d’une très longue léthargie qui n’est due ni au manque de qualité de nos écrivains et de nos cinéastes, ni à leurs possibilités de création.

Cette sélection nous honore et nous met vraiment un baume au cœur ; elle nous interpelle en même temps. Je dis cela parce-qu’elle marque la fin d’une période de découragement. Comme vous le savez, au Niger, la " chose" culturelle n’est pas tout à fait appréciée à sa juste valeur, surtout dans le domaine du livre. Notre production littéraire renferme des œuvres de très grande qualité commise par des auteurs non moins qualifiés, mais elle reste encore très peu connue, aussi bien des nigériens, qui sont notre lectorat naturel et cela, parce-qu’ils ne lisent pas beaucoup ou très peu, que le public étranger. La jeune génération est également prometteuse car il m’arrive de lire de nombreux écrits fort intéressants qui ne demandent qu’à être découverts.

Personnellement, j’ai toujours rêvé d’un mariage harmonieux entre la littérature et le cinéma. Je suis donc comblé puisque la sélection qui vient être faite nous permet de réaliser ce rêve.

Etes-vous le premier auteur nigérien dont l’œuvre est portée sur écran ? Est-ce que vous pensez que porter votre œuvre à l’écran puisse avoir un effet quelconque sur la cinématographie de notre pays ?

Adamou Idé : Je dois peut être rappeler que certaines œuvres d’écrivains nigériens ont déjà été portées à l’écran. On peut citer : "Toula" de Boubou Hama, réalisé par Moustopha Alassane ; le roman "quinze ans ça suffit" de Amadou Ousmane sous le titre "Pétanki" par l’Ivoirien Yéo Kosaloa ; "Si les cavaliers avaient été là" de Mamane Bakabé, inspiré de l’œuvre d’André Salifou et enfin "Sarraouinia" roman de Mamani Abdoulaye, adapté par Med Hondo. Tous ces cas procèdent cependant d’une entente personnelle entre l’auteur et le réalisateur et ou le producteur.

Je crois que c’est bien la première fois qu’au terme d’une sélection internationale, l’œuvre d’un écrivain nigérien est retenue pour être adaptée à l’écran par un réalisateur nigérien, il faut le souligner. Cet évènement ouvre donc des perspectives prometteuses pour le cinéma nigérien, pionnier du cinéma africain de la sous-région qui traverse depuis de très longues années une période de "coupez moteurs". Il serait bon que cette expérience qui va commencer, marque un véritable démarrage de la production cinématographique au Niger. Et ce ne sont pas les écrits qui manquent, que se soient des romans, des nouvelles ou même des épopées, par exemple les légendes de nos ancêtres qui rencontrent un énorme succès à la radio. Il faut dire que tous les peuples ont besoin dans leur histoire, des héros auxquels ils s’identifient à travers le cinéma et cela est possible au Niger comme partout ailleurs grâce au mariage de la littérature et du cinéma.

Pourquoi seulement aujourd’hui ? Et pourtant la littérature nigérienne n’est pas moins fournie comme vous venez de le souligner ?

Adamou Idé : Pourquoi seulement aujourd’hui ? Comme je le disais tantôt la littérature nigérienne est encore largement méconnue du public, malgré les nombreux talents dont elle regorge.

D’abord, les gens, ici, n’aiment pas beaucoup lire ; les bibliothèques qui existent, sont très peu fréquentées. S’il est vrai que le livre coûte encore très cher, cela ne peut suffire comme excuse. Il est urgent de renverser la tendance. Ensuite, au niveau des auteurs, on peut nous reprocher d’être "timorés" comme si nous avions peur de faire du bruit autour de nos écrits comme le font de nombreux auteurs africains d’autres pays. Chez nous, une fois que le livre est paru, c’est le silence ; on dirait que l’auteur a atteint un but ultime. Or le livre voyage, il transporte des idées au-delà des frontières physiques. La place naturelle de l’auteur, c’est d’être le conducteur de voitures, d’aller vers le public et non l’inverse. Mais l’absence de structures de diffusion constitue aussi un grand handicap.

Il faut ajouter enfin, à la décharge des auteurs et même de l’ensemble des créateurs nigériens, qu’ils vivent et pratiquent leur art dans une espèce de ghetto ou de goulag. Ils sont considérés comme des êtres mystérieux qui créent parce-qu’ils n’ont plus faim et font donc partie d’une minorité privilégiée qui est volontairement ou involontairement ignorée ou isolée. Si l’on prend également en compte l’analphabétisme et souvent, le poids de la religion, on mesure toute la difficulté d’être reconnu et de se faire un nom à l’intérieur. D’ailleurs la plupart du temps, à quelques exceptions près, c’est l’extérieur qui reconnaît le talent des créateurs nigériens, c’est l’extérieur qui les consacre et les respecte. Je trouve cela très dommage.

En ce qui concerne plus particulièrement la littérature, nos auteurs remportent beaucoup de succès dans les concours internationaux, en poésie ou en nouvelle par exemple. Ils méritent d’être vraiment encouragés et soutenus. L’espace d’expression culturelle étant limité au plan national, les auteurs et les créateurs en général doivent mettre à profit les avantages qu’offrent les NTIC’S pour sortir de ce ghetto afin de mieux faire connaître leurs œuvres.

Vous avez été temoin de l’histoire du Niger de 1960 à 1990, avec tous les soubresauts sociaux politiques. Qu’attendez-vous de l’adaptation cinématographique de votre œuvre ?

Adamou Idé : Etre témoin de l’histoire du Niger de 1960 à 1990, c’est trop dire puisque à une certaine époque, j’étais trop jeune. Cependant, j’ai retenu pour les avoir parfois intensément vécus, quelques faits de notre histoire pendant cette période. C’est ce que j’ai essayé de retracer dans le roman "Talibo, un enfant du quartier". L’élément enclencheur de ce roman, c’est la destruction du quartier Gaweye vers le début des années 1980. N’oublions pas que c’est le premier quartier de la ville de Niamey. En une matinée, les bulldozers ont effacé peut-être une centaine d’années de culture, de notre patrimoine culturel, pour ériger à la place des "monuments" en béton qui ont pour nom l’Hôtel Gaweye, le Palais des Congrès, l’Immeuble de l’ONAREM. Cela m’a profondément révolté et je me suis dit qu’il faut trouver un moyen pour réparer ce gâchis culturel et redonner vie à ce pan de notre patrimoine national. Mais aujourd’hui, la menace est plus sérieuse, parce que c’est avec les coups de poings de l’argent qu’on casse la figure de Niamey ; et on s’attaque même aux espaces physiques d’expression culturelle comme ce que risque aujourd’hui la Compagnie de théâtre "Les Tréteaux du Niger". On peut moderniser une ville tout en conservant sa spécificité culturelle ! "Talibo, un enfant du quartier" est une œuvre de fiction certes, mais elle s’appuie beaucoup sur certains faits sociaux et politiques réels qui se sont passés dans notre pays.

J’attends vraiment de l’adaptation de ce roman, qu’elle nous recrée l’ambiance de la ville de Niamey à l’époque considérée, pour que les Nigériens qui ont vécu ces moments n’oublient pas et que les jeunes s’en souviennent un jour. C’est un modeste témoignage que j’ai voulu en fait apporter et la force de la caméra, c’est de le fixer sur images et de l’amplifier partout dans le monde. Mais ce seront l’œil du réalisateur et sa façon de "sentir" le livre qui constitueront les principaux facteurs de succès du film, même si tous les moyens sont mobilisés

Propos recueillis par Candide Etienne
Clap Noir
14 février 2004

Résumé de l’oeuvre
TALIBO un enfant du quartier, est un récit basé sur l’histoire personnelle et familiale d’un jeune nigérien natif de la grande ville : Niamey, construite pendant la période coloniale, sur les bords de fleuve Niger. Le jeune garçon sera confronté dès son enfance au système d’éducation coranique sur décision unilatérale de son père qui voyait en lui, le digne successeur de son grand-père qui fut un marabout réputé.

Etonnants Scénarios
Etonnants Scénarios est un programme de formation relatif aux questions spécifiques du développement et de l’écriture liées à l’adaptation d’œuvres littéraires, conçu par des scénaristes, réalisateurs et producteurs. Le cursus est encadré par un scénariste et un pécialiste du développement de projets audiovisuels. "Etonnants Scénarios" fusionne avec un débat entre les participants à l’atelier d’écriture et des écrivains africains invités. Financé par le Ministre des Affaires Etrangères Français, l’atelier est organisé par "Initiative film", une structure de conseil spécialisée dans le développement de projets cinéma et audiovisuel.

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