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Du Bénin
Publié le : dimanche 24 janvier 2010
Des nouvelles du Festival Quintessence de Ouidah au Bénin







Vaudou et cinéma

Pour sa huitième édition, du 7 au 11 janvier 2010, au beau milieu de la fête du Vaudou à Ouidah, qui voit affluer les pèlerins en tenue blanche, au son des tam-tams, le festival Quintessence a privilégié une programmation largement béninoise, au milieu de quelques pépites venues du monde entier. Les pèlerins du cinéma sont, quant à eux, en grande majorité des étudiants, venus de Cotonou, mais aussi du Togo et du Niger. Cette année, une partie d’entre eux s’est constituée en association des amis du festival Quintessence : en tout au moins "150 spectateurs actifs et réguliers" selon l’expression d’Arcade Assogba, qui assiste cette année Jean Odoutan pour l’organisation des festiv(ali)ités. Ces jeunes fans de cinémas remplissent chaque soir le grand amphithéâtre de l’IRPS de Ouidah, les salles des CCF de Cotonou, mais aussi et Porto Novo et même, depuis 2010, Parakou (une première satisfaisante selon les organisateurs). Plusieurs projections en plein air ont également lieu dans la ville de Ouidah, en espérant que les Oros, les vaudous, ne sortent pas à partir de minuit comme ils ont l’habitude de le faire durant cette période... Vaudou oblige, le film star de la semaine aura été le documentaire de Bettina Ehrhardt, « L’élu du vodoun, celui à qui appartient la mer », tourné à Ouidah avec le chef spirituel des Vaudous.

Des invités de marque

Le dogme de Quintessence est partout, puisqu’il a été imprimé sur les t-shirts du festival que portent tous les participants : "la culture sans ma culture m’acculture !". Parmi les invités de marque, Mama Keita, connu du public de Ouidah pour ses master-class de scénario depuis au moins de quatre ans, données en plein air à l’ombre d’un palmier, non loin de la plage, sur le site de Quintessence, a reçu une ovation spontanée extraordinaire lorsqu’il a reçu le prix du meilleur long métrage pour son film L’absence. Les jeunes ont scandé son nom pendant une dizaine de minutes. Emotion du réalisateur qui trouve ici un public fervent et expressif ! Même émotion pour le réalisateur espagnol Oriol Canals , récompensé d’un beau python en bois brut sculpté pour son film Les ombres, portraits d’immigrants africains sans papiers en Espagne : il ne trouve plus ses mots ! bouleversé de cet accueil chaleureux, pour la première rencontre du film avec un public africain, le film ayant déjà fait ses preuves à Cannes (sélection Acid) et à Lussas, en France. Quelques coupures d’électricité ont ponctué les projections, mais dans l’ensemble, les films commencent à l’heure et l’équipe d’organisation se démène pour ce festival à échelle humaine. D’après l’organisation, 50.000 spectateurs environ, sur les quatre grandes villes citées, ont suivi le festival. Beaucoup viennent du Bénin et du Togo. Quelques uns de France, comme Marie Bonnel, responsable au Ministère des Affaires Etrangères de la coopération cinématographique, dégustant selon ses propres mots une coopération franco-africaine « sans paternalisme » : avec moins d’argent qu’autrefois.


Oriol Canals et son python PAPOU

Pim Pim Ché, première mondiale

Jean Odoutan, l’infatigable animateur et directeur du festival Quintessence, une figure de la ville de Ouidah, et une personnalité incontournable du monde culturel béninois, présente pour la première en Afrique son cinquième chef d’œuvre (c’est ainsi qu’il nomme ses long-métrages) : Pim Pim Ché, en première africaine et béninoise et - quasiment - mondiale ! Le film a été projeté au CCF de Cotonou devant une salle comble et dans la grande salle de Ouidah devant un public enthousiaste. Pim Pim Che raconte avec une langue délicieusement ciselée les mésaventures amoureuses d’une jeune fille coquine et manipulatrice. Le public de Jean Odoutan saluera dans le dernier opus du prolixe béninois, enfant de la balle et poète rabelaisien, une écriture filmique soignée, des cadres maîtrisés et élégants, des comédiens tous bien dirigés et tous les ingrédients d’une comédie réussie. La langue choisie pour le film est volontairement désuète, elle flirte autant avec la verve d’un Brassens ou d’un Michel Audiard qu’avec la langue locale, le Fon, volontairement stylisée et distanciée, mais toujours présente dans les accents. D’après le béninois Tupac Fagnon, qui a collaboré au tournage du film, le film décrit un phénomène de société : "beaucoup de jeunes béninoises sont aussi démerdardes et cyniques que Pim Pim Che, le terme voulant dire "fille sexy". Séduire le prof pour avoir de bonnes notes ? beaucoup de filles le font dès 13 ans ici ! C’est une réalité." Une vision de la femme qui renoue avec l’humour des films de Henri Duparc, décédé en 2006, et dont Jean Odoutan accepte d’être identifié comme un fils spirituel. Espérons que ce récit plein d’humour et de taquinerie trouvera un large public en Afrique, aussi bien qu’en France.

Essor du home vidéo au Bénin

Cette année, pour faire face à la réalité locale, le festival a créé une section Home vidéo. Emmanuel Tometin, réalisateur de « Une vie sans ombre », affirme avoir tourné son 78 minutes en trois jours... C’est « JVS-mariage forcé » de Claude Balogun, aidé par le Fonds d’Appui à la Production Audiovisuelle (FAPA) béninois, qui remporte le prix dans cette nouvelle section de la compétition. C’est le moment d’évoquer le succès de sa master class de jeu d’acteur, suivi par une cinquantaine d’émules. Ici, on lorgne sur le Nigéria voisin, où une industrie de l’audiovisuel s’est développée depuis quelques années et attire les jeunes techniciens béninois, en mal de film. Les nigérians parviennent même à éditer des DVD en Fon et en Yoruba. On les achète au marché pour seulement 500 francs CFA (75 cts €) et les béninois en raffolent ! La production béninoise de séries est quant à elle encore fragile. On attend la série en six épisodes Deuxième bureau de Sanvi Panou, connu des parisiens pour avoir été directeur pendant environ 20 ans du cinéma Images d’Ailleurs. Sanvi Panou était au festival et sa série, qui vient juste d’être tournée, sera sans doute programmée l’an prochain.


Jean Odoutan

Une jeune génération de cinéphiles et de vidéastes : réalités du Bénin

Ici, seuls Jean Odoutan (avec Barbecue Pejo et Pim Pim Che) et Sylvestre Amoussou, réalisateur d’Africa Paradis, tournent des longs métrages. De nombreux jeunes fréquentant le festival ont collaboré à ces réalisations. Mais ces réalisateurs africains installés en France choisissent des équipes techniques françaises pour l’image. Pourtant, il existe plusieurs formations audiovisuelle/cinéma au Bénin et dans la sous-région. Autour de Quintessence, de l’ICO, l’école fondée il y a trois ans par Jean Odoutan, vient de voir sortir une première promotion de jeunes auteurs de fictions et documentaristes comme, parmi d’autres Flora Bodjirounou, Arcade Assogba, ou Arnaud Akoha. Certains ont « fait » le CIMAC, formation artistique publique qui a ouvert une section audiovisuelle l’an dernier ou suivit l’Atelier FIWE à Ouidah animé par Valério Truffa. Il existe aussi une école privée de cinéma au Bénin, l’ISMA (partenaire de l’EICAR en France), « la mieux dotée en matériel, une véritable production en réalité ! », confie un jeune. Quelques uns sont passé par l’école IMAGINE créée par Gaston Kaboré, à Ouagadougou. D’autres se forment sur le tas, en participant à des tournages. Comment faire valoir ce que l’on a appris à l’ICO, au CIMAC ou dans les formations professionnelles que proposent, plutôt aux journalistes, les chaînes occidentales comme CNN ? Le théâtre filmé est le minimum syndical pour un jeune diplômé de l’ICO ! Ici, on manque de film, pas de désirs. Des chaînes privées apparues depuis quelques années, comme LC2 ont d’abord séduit pour leur modernité puis sont rentrées dans la norme sous la pression de la concurrence. Sur la chaîne Golf, on attire le public jeune avec du clip, des infos en boucle (et même, des pornos à heures improbables). Tous le déplorent : il n’y a pas vraiment au Bénin d’espace de création et les pouvoirs publics n’ont pas de politique qui serait l’équivalent du CNC français, malgré de nombreuses déclarations d’intention. Les jeunes, ici, sont attirés par le documentaire parce que le numérique le rend plus accessible que la fiction. Mais que filmer et surtout, avec quel regard ?

La voie documentaire

L’atelier documentaire de Quintessence, que j’ai eu la chance de mener auprès de douze jeunes réalisateurs, montre qu’il faut travailler, en particulier sur soi, pour affirmer un regard singulier, sans se laisser dominer par le sujet : sujets de société (excision, lévirat, sorcellerie, danse, métissage) ou sujets liés aux prescriptions des ONG (la culture bio, le traitement des déchets, les violences faites aux femmes). Filmer l’intime, par exemple, affirmer une subjectivité de réalisateur nécessitant de faire le deuil de ce que l’on pense devoir « bien faire ». Mais le désir est présent et les salles de Quintessence remplies. Moyenne d’âge : 25 ans. L’âge de la plus grande majorité de la population au Bénin. L’avenir de l’Afrique est en train de se jouer dans des lieux comme le festival de Quintessence, à Ouidah.

Caroline Pochon

Palmarès 2010

LE PYTHON ROYAL, Grand Prix du Festival : L’Absence de Mama KEITA (Guinée) Fiction 82 min

LE PYTHON DE CHILDREN, Prix du public : L’Elu du Vodoun – Celui à qui appartient la Mer de Bettina EHRHARDT (Bénin/Allemagne) 90 min

LE PYTHON PYGMEE, Prix du meilleur court métrage : Il était une fois les indépendances de Daouda COULIBALY (Mali / France) Fiction 21 min

Mention spéciale du jury au film : Lula de Ladi BIDINGA MPOYI (RDC / Belgique) Fiction 10 min

LE PYTHON PAPOU, Prix du meilleur film documentaire : Les Ombres de Oriol CANALS (Espagne / France) 94 min

LE PYTHON A TETE NOIRE, Prix du meilleur scénario : Un Cargo Pour l’Afrique de Roger CANTIN (Canada) Fiction 90 min

Mention spéciale du jury au film : La Tumultueuse Vie d’un Déflaté de Camille PLAGNET (Burkina Faso / France) 59 min

LE PYTHON TAPIS, Prix du meilleur film d’animation : Ana, Bazil et Le Masque Sacré de Joseph AKLIGO (Bénin) 20 min

Mention spéciale du jury au film : L’Homme est le seul oiseau qui porte sa cage de Claude Weiss (France) 12 min

LE PYTHON A LEVRE BLANCHE, Prix du Meilleur TV-Home Vidéo : JVS- Mariage forcé de Claude BALOGOUN (Bénin) Série TV 3 épisodes de 13 min

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