Accueil > Archives > 2010 > La françafrique à France Télévision : aie, ça fait mal !
La françafrique à France Télévision : aie, ça fait mal !
Publié le : samedi 4 décembre 2010
Sur France 2 dans la case infrarouge

Sortie DVD le 2 décembre 2010

Un documentaire sur la françafrique, et sur France Télévision !

Cette année du cinquantenaire des indépendances des pays africains fut si morne, si tristement peu l’occasion d’une réflexion politique. Il fallait faire un film sur la françafrique. On en rêvait, mais à part aux A.G. de Survie, il ne se disait pas grand chose de fort sur ce sujet pourtant fort riche. Eh bien ! France Télévision l’a fait. Réalisé par Patrick Benquet, produit par La compagnie des phares et balises dont le travail sur l’histoire contemporaine de la France à la télévision est déjà connu, le film percute et fait mal. Il fait mal à la France, il fait mal à la françafrique.
Dans la première partie (« La raison d’Etat »), il dissèque l’organisation des fameux « réseaux Foccart » autour de la personnalité complexe, ici enfin un peu démythifiée, du Général de Gaulle. Et puis, il montre comment Valéry Giscard d’Estaing, puis François Mitterrand ont pris tranquillement la suite (deuxième partie : « L’argent roi »), jusqu’à Nicolas Sarkozy. Mais ce n’est pas tant les chefs d’Etat que le pétrole qui est le personnage principal de ce récit. Il ne faut pas oublier que dans les années 60, période ou commence cette histoire, le général De Gaulle a le souci de l’indépendance énergétique de la France… C’est donc un film où l’on parle beaucoup d’ELF et de ses avatars, et où l’on entend s’exprimer Loic Le Floch Prigent avec cynisme et franchise sur les étroites relations entre l’Etat français, certains chefs d’Etats africains et l’or noir…

Ce documentaire prend le parti de montrer uniquement les relations de pouvoir entre France et Afrique après la période coloniale. Il s’intéresse à la politique en tant que jeu. D’ailleurs l’un des intervenants le dit : « finalement, tout cela était amusant ! ». Un jeu machiavélique, dans lequel quelques personnes, depuis l’Elysée, manipulent leurs pions, sur un continent où seules semblent finalement compter les richesses pétrolières et minières. Le film montre ainsi, en 2 X 80 minutes, comment l’enjeu pétrolier a conduit notamment à la guerre du Biafra, comment la France a armé depuis le Gabon les sécessionnistes biafrais contre l’armée nigériane, toujours dans le but d’accéder au pétrole, assumant cyniquement le risque d’accompagner, voire de créer une famine, - prenons les grands mots, un génocide -. La manipulation politique trouve ici son point culminant. Et même les médias en prennent pour leur compte dans cette analyse historique sans concession. Le commentaire cinglant, ironique et percutant du film n’hésite pas à mettre les points sur les i. Pas de langue de bois, dans un film brillant sur la politique. Ses mécanismes, son montré-caché, ses personnes, ses affects, sa raison aussi. Car c’est toujours de l’Etat qu’il s’agit. Et de la corruption. Et pourquoi ne pas le dire, comme au temps des catilinaires de Cicéron, de concussion ! Et pourtant, on écoute ces joueurs avec beaucoup d’attention et d’émotion. Ils baissent ici, du moins certains, enfin le masque.

La France et son ombre africaine

Le film montre bien aussi, comme dans toute relation de domination, comment peu à peu, les choses évoluent. Un chef d’Etat créé de toutes pièces par la France et entretenu en place par elle à des fins de stabilité commerciale : Omar Bongo, président du Gabon de 1967 à sa mort, en 2009, a su au fil des ans devenir le grand argentier des hommes politiques français au point de les tenir par la barbichette et d’être encore, au temps de Jacques Chirac et même en 2009, celui qui fait la pluie et le beau temps dans la vie politique française (et pas seulement sa politique étrangère) ! Le président en exercice n’est pas épargné par ce récit sans concession. Pas plus que Bernard Kouchner, pris au piège d’un montage audacieux, et même fort impertinent !

En outre, le film parvient à mettre en évidence le grand changement dans les rapports de force entre la France et l’Afrique en cinquante ans. Aujourd’hui, avec la disparition du « péril rouge » soulignée par Mitterrand dans son discours de La Baule en 1990, ainsi que l’entrée de la Chine et des Etats Unis dans le pré carré africain, les chefs d’Etat des anciens colonies de l’empire français ont compris qu’ils avaient le choix et que c’était maintenant à eux de décider. D’où l’évolution relativement récente de la politique française en Afrique, incarnée par les orientations prises par Nicolas Sarkozy aujourd’hui : on parle moins « œuvres » et « missions », mais davantage « gagnant-gagnant », comme le dit en souriant le président Gbagbo, de Côte d’Ivoire, dans le film. Mais les richesses du sous-sol et les flux financiers préoccupent toujours autant les partenaires, au delà des discours, eux toujours les mêmes. Et pourtant, on sent bien que les choses ne seront bientôt plus comme avant.

Bien sûr, il s’agit du jeu politique. La démocratie y apparaît comme une sinistre mascarade. En Afrique, mais aussi en France. Et le lien pervers entre les deux entités trouve ici toute son explication, comme si la France ne pouvait se passer de l’Afrique : son ombre, en quelque sorte. Tout n’est qu’instrumentalisation et discours. Le lien d’interdépendance semble également impossible à couper. Le pétrole coule à flots dans les tuyaux. Ce n’est plus Elf, c’est Total. Ce n’est plus Omar Bongo, puisqu’il a fini par mourir, c’est son fils… Certes, la position des citoyens, leur opinion, n’est pas le thème du film. Ils en sont absents. Ce serait un autre film. Seuls, ceux qui ont fait le jeu, de manière officielle (ambassadeurs et hommes politiques), ou bien occulte (franc-maçons ou barbouzes !) ou souvent les deux, ont ici la parole. Blancs ou Noirs, ils sont âgés, roués, ils n’avaient pratiquement jamais parlé. Coups d’Etat, limogeages, actions de choc, pactes, deals, accords secrets, collaboration, corruption… Tout est passé au crible, de manière fort intelligente. On évite une exhaustivité qui aurait été fastidieuse en se concentrant sur un personnage emblématique et fort : Omar Bongo, président du Gabon, qui aimait dire : « L’Afrique sans la France, c’est la voiture sans le chauffeur. La France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant. »
La première partie du film est historique, la seconde est contemporaine et polémique. Il faut en passer par là, et ce beau et passionnant diptyque réussit fort bien à dire et montrer les choses.
La françafrique à France Télévision : aie, ça fait mal !

Caroline Pochon
Décembre 2010

Françafrique, un film de Patrick Benquet, 2 x 80’, 2010
Production : La Compagnie des Phares et Balises avec la participation de France Télévision.
Contact : YASMINE.BENKIRAN chez PHARES-BALISES.FR
Distribution : Arcadès : contact chez arcadesmultimedia.com

Également…
1

Clap Noir
Association Clap Noir
18, rue de Vincennes
93100 Montreuil - France
Tél /fax : 01 48 51 53 75