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Foccart, l’homme qui dirigeait l’Afrique
Publié le : vendredi 10 décembre 2010
Un film de Cédric Tourbe, 81’, 2010

La décolonisation reste en France un sujet délicat, voire tabou surtout lorsque l’on aborde la délicate question des Indépendances.
Foccart y a joué un rôle de première importance pendant près de 35 ans, en France beaucoup l’ignorent car à droite comme à gauche, l’omerta de la classe politique sur les affaires africaines était suffisamment solide pour que l’on ne puisse pas trop fouiller.
Pour sortir de l’ombre ce personnage historique, Tourbe n’a pas dressé un portrait à charge. Au contraire, il décortique les multiples facettes de l’homme qui s’est engagé sans compter dans la mission que lui a confié De Gaulle. C’est le portrait d’un personnage hors norme, controversé et mystérieux.

L’artisan de la françafrique

La françafrique n’existerait pas sans Foccart. Homme de l’ombre des présidents De Gaulle, Pompidou et Chirac, c’était le « Monsieur Afrique » de l’Elysée, l’homme qui organisa un vaste réseau mystérieux entre la France et ses anciennes colonies dès les premières indépendances en 1960.

Jacques Foccart a six ans lorsqu’il quitte la Guadeloupe et qu’il retrouve sa Mayenne natale. C’est d’abord un homme d’affaire, patron d’une entreprise d’Import-Export, la Safiex qu’il gèrera de longues années.
En 1942, après avoir contacté la Résistance en Mayenne, il rejoindra le BCRA (Bureau Central de Renseignements et d’Action) à Londres où il créera un an plus tard son propre réseau.
Il fait réellement ses premiers pas dans la vie politique en 1947 où il s’occupe des questions africaines au RPF (Rassemblement du Peuple Français) et en devient le secrétaire général en 1954. Il est ensuite nommé en 1958 conseiller technique à Matignon puis à l’Elysée, avant de devenir, en 1961, secrétaire général de la présidence de la République pour les Affaires africaines et malgaches.
En outre, il supervise le Service de Documentation Extérieure et du Contre -Espionnage (SDECE), et sera à l’origine en 1959 du Service d’Action Civique (SAC).

Fidèle du Général De Gaulle, il mettra en place le pré-carré de l’Elysée, la fameuse cellule africaine avec un seul objectif : assurer une succession stable à l’Empire ; en contrôlant les matières premières pour pérenniser l’indépendance énergétique de la France et renforcer son hégémonie en Afrique francophone.
Pour cela, il tissera un vaste réseau clientéliste mêlant intérêts publics et privés par l’exploitation des ressources du continent et par l’Aide Publique au Développement (APD). Dans ce réseau intelligemment organisé, les dictateurs et chef d’Etats « amis de la France » se sont construits des fortunes prodigieuses. En retour, ils ont permis de financer la vie politique française. Ainsi la France a pu garder sa présence militaire, économique et politique en mettant sous dépendance l’Afrique…

Foccart restera aux affaires africaines jusqu’en 74. D’innombrables coups d’état, guerres civiles, jeux de pouvoir et coups tordus lui sont attribués ; répression des indépendantistes au Cameroun, soutien clandestin au réduit biafrais par la livraison d’armes en passant par des débarquements de mercenaires au Bénin ou en Guinée ; il n’est pas étranger aux assassinats ciblés de grands leaders africains farouchement opposés aux dictatures.

Un paternalisme assumé

Foccart sera toujours fidèle à De Gaulle et incarnera le Gaullisme auprès de Pompidou et Chirac dans la politique africaine de la France.
« Foccart est, pour les Africains, le bras droit de De Gaulle, presque De Gaulle lui-même ». [1]

Derrière l’action de Jacques Foccart se dresse tout un réseau d’amis ressemblant à une véritable entreprise familiale. Il aimait l’Afrique, son terrain de jeu. Jouant de son influence, il n’était pas rare que dans les murs de sa villa Charlotte à Luzarches (France) surnommée La case à fétiches, il accueille bon nombre de clans familiaux africains. Il fit et défit les chefs d’Etats, plaça Bongo à la présidence du Gabon ou Bokassa en Centrafrique. Un vrai marionnettiste qui forcerait l’admiration de n’importe quel agent secret….
Sans enfant, marié à une femme qui partageait sa passion africaine, Jacques Foccart affichait sa totale disponibilité et entretenait des rapports fusionnels avec ses amis africains. « La françafrique » imaginée par Houphouët-Boigny lui servait de terreau nourrissant son histoire, celle d’un néo-colonialisme paternel.

En 1974 Giscard s’en sépare. Mais les présidents et politiques français ne peuvent s’en passer au point qu’en 1986, Chirac - alors 1er ministre de Mitterrand - le réintroduit comme conseiller. En 1995, lors de l’élection présidentielle du même Chirac, Foccart se fait installer un bureau au 14, rue de l’Elysée, faisant ostensiblement de l’ombre à la cellule officielle, sis au n°2 de la même rue. Chirac prenant à son égard la posture de « fils spirituel » [2]

Il incarnera le néo-colonialisme français jusqu’à sa mort, en 1997. Une
séquence très symbolique où l’on voit Foccart à l’aéroport Houphouët-Boigny d’Abidjan, entouré d’une myriade de politiques français venus assister aux obsèques du défunt président, montre à quel point il fut un des hommes les plus influents de la République. Un vrai mythe.

Le film dégage les grandes lignes des réseaux Foccart en s’appuyant sur les témoignages de ceux qui l’ont bien connu, comme Pierre Péan son biographe ou Bob Maloubier , ancien officier des services secrets . Ce dernier est incroyable quand il raconte la formation d’une garde présidentielle pour le président du Gabon Léon Mba.
Le personnage fascine et Tourbe pose la bonne question : comment cet homme a pu concentrer autant de pouvoir sur une période aussi longue ?
La voix d’Emmanuelle Devos donne au film un ton distrayant et romanesque. Un décryptage indispensable en ces temps de célébration des Indépendances africaines.

Benoît Tiprez

Un film réalisé par Cédric TOURBE
Écrit par Cédric TOURBE et Laurent DUCASTEL
Conseiller historique - Pierre PÉAN
Narratrice - Emmanuelle DEVOS
Production déléguée - K’IEN Productions
Produit par David KODSI et Jan VASAK
Contact : K’IEN production, tél 01 44 54 15 15, www.kien.fr

Pour en savoir plus :

 La Françafrique, le plus long scandale de la république de François-Xavier Vershave chez Stock

 L’homme de l’ombre de Pierre Péan chez Fayard

[1] Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle. tome II, La France reprend sa place dans le monde, Paris, France loisirs, 1998, 653 p., p. 463.
[2] In site web de Survie, Jacques Foccart-

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