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Dure, l’Afrique, dure
Publié le : samedi 4 septembre 2010
Lussas, sélection Afrique 2010





"Comment ça va avec la douleur ?", disait Depardon dans son documentaire sur l’Afrique. Les documentaires de la sélection Afrique du festival de Lussas cette année nous plongent à nouveau dans la douleur, à travers plusieurs films qui semblent tirer la sonnette d’alarme. Pourtant, pas de chefs d’oeuvre dans cette sélection, et trop peu de réalisateurs africains s’exprimant sur leur propre pays, malgré les efforts d’Africadoc (dont plusieurs films de jeunes réalisateurs africains sont issus). On espère qu’une génération de documentaristes émergera de cette initiative formidable. C’est encore un peu tôt pour le dire. Samba Félix Ndiaye nous a quittés cette année. Où sont les grands réalisateurs africains ?

Tout d’abord, Kafka au Congo, de Marlène Rabaud et Arnaud Zajtman, conte de manière terrible la lutte d’une propriétaire contre des squatteurs. Chahutée par les méandres d’une justice improbable, elle finit par perdre un procès en disant : "Alors il n’y a pas de justice au Congo". Le film fait état d’un pays corrompu, d’une justice effectivement kafkaïenne, où les hommes semblent des pantins cyniques, ayant perdu toute raison.

Réalisé avec une certaine simplicité, - voire rudesse - , le moyen métrage Un peuple, un bus, une foi, de Simplice Ganou (33’) a quelque chose qui touche. Il est réalisé en hommage à Samba Felix Ndiaye, documentariste sénégalais hélas décédé en 2010. Le réalisateur s’intéresse aux gestes du travail, dans la lignée de l’oeuvre "Trésors des poubelles" du travail de Samba Felix Ndiaye, qui fut le premier, dès la fin des années 70, à valoriser l’art de la récup’ dans la vie urbaine africaine.
Le film fait état de la débrouille et de la précarité au Sénégal à travers l’exemple des cars rapides, transports en commun de marque Renault datant de 1960. Comme le souligne avec ironie le commentaire, ces bus sont un drôle de "cadeau d’indépendance"... qui roule encore, même si les cars rapides sénégalais sont de véritables cadavres ambulants.

On l’avait découvert au cinéma du réel en mars 2010, on revoit avec émotion le beau film de Au nom du père, de tous, du ciel, de Marie-Violaine Brincard, qui dresse avec pudeur et intelligence le portrait de quelques Justes au Rwanda. Ils ont sauvé des vies pendant le massacre. Le dispositif est simple, beau. Les personnages sont touchants, empathiques mais sans pathos. C’est un moment de recueillement.

Détresse, attente et solitude : Les larmes de l’émigration, d’Alassane Diago nous plonge dans la tragédie de la condition des femmes africaines. On entre doucement dans le drame, à travers le récit d’un jeune cinéaste sénégalais (plus précisément Hal Pulaar, c’est à dire Peul), qui est allé interviewer sa mère, dans son village. Le cinéaste est présent dans le film comme intervieweur (on entend ses questions), ce qui fait du film une performance d’auteur, autant qu’un regard porté sur les femmes. Même si le film a un rythme lent, - voire lancinant -, même si le dispositif peut sembler un peu (trop ?) simple, c’est, de tous ces films découverts à Lussas, le plus personnel et le plus rigoureux. Pour la première fois, ce jeune réalisateur parle à sa mère d’un père qui est parti il y a 23 ans et n’a jamais donné de nouvelles.
Ici, plus que jamais, le cinéma fait bouger le réel, et ne se contente de prétendre le capter. Modeste et pudique devant la caméra attentive et patiente de son fils, la mère parle de l’attente, de la souffrance endurée. Elle déploie devant nous le grand boubou blanc laissé par son mari, sort d’une malle trois vieilles photos. Sa fille est là ; elle a une fille, qui, elle non plus, n’a pas connu son père, parti on ne sait où... Tout est dit, en peu de mots. Attente des femmes et émotion partagée : le film devient presque un objet transitionnel dans les mains d’une famille. Un message envoyé à ce père absent. Nous en sommes les témoins bouleversés, en marges des sujets traditionnels d’affliction du genre.

Enfin, dans un registre de documentaire plus classique, écoutons Jean-Marie Barbe nous parler du film du réalisateur sénégalais Cheikh Ndiaye, L’Ombre des marabouts, qui nous conduit "au cœur de la puissance politico-religieuse des Mourides", au Sénégal. Selon le programmateur, le film dresse un "constat de la puissance et la critique du pouvoir, tout en laissant habilement une sorte d’ambiguïté, qui permet sans doute au film d’être acceptable aux yeux des autorités". La critique de Clap Noir est à venir bientôt.

Caroline Pochon

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