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Gindou sur Niger
Publié le : vendredi 10 septembre 2010
La chronique de Michèle

Cette année, le parrain des 26ème Rencontres de Cinéma de Gindou, était le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako qui a pris, en famille, la route du Lot pour la quatrième fois.
Gindou, dernière semaine d’août, un rendez-vous de cinéphiles en short, d’où le bling bling est banni. Tout pour les films, ceux qui les font, ceux qui les aiment. Ceux qui les choisissent en constants défricheurs ont les yeux émerveillés, il s’avère que c’est contagieux.
Dans la journée, projections au Louxor, un chapiteau planté en plein champ, sauna garanti malgré la clim.! Le soir, projections gratuites dans le merveilleux théâtre de verdure. Etoiles et pleine lune. Une foule campeuse s’installe pour une traversée nocturne de 3, 4 films. Les nuits d’août méritent bien ça ! Et, tous les jours de 5 à 7, les réalisateurs défendent leur film devant un public d’initiés ; C’est la « tchatche ».


N.T. Homayoun et A. Sissako
Photo Nelly Blaya

« Ce que j’aime ici, déclare Abderrahmane, amitié mise à part, c’est la modestie de l’équipe ». Et pour l’associer à l’honneur qui lui est fait, il a dédié sa carte blanche à Jafar Panahi, le juré iranien absent à Cannes, cette année. Découvrir ou revoir tous les films de Sissako, ceux de Panahi ainsi qu’une bonne centaine d’autres, dont beaucoup en avant première, c’était l’offre des 26eme Rencontres du 21 au 28 août dernier.

Jafar avait envoyé un mail daté du 7 août 2010 :
Je suis un cinéaste qui n’a plus le droit de travailler depuis cinq ans. On peut dire que j’ai été tué avant de mourir. Je tourne en rond dans ma maison et il n’y a que l’espoir qui me fasse vivre, celui de pouvoir, un jour, faire un film et donner un sens à ma vie. Je voudrais remercier tous ceux qui m’ont soutenu et, en particulier Abderrahmane Sissako.
Je n’oublierai jamais le moment où, pendant le festival de Cannes(en 2007), il a annoncé mon nom en tant que gagnant du Prix du Jury. Il était très ému. Je voudrais lui dire maintenant que, ce soir là, j’ai vu l’amour du cinéma dans ses yeux.
Cher Abderrahmane, continue à faire des films comme tu l’as toujours fait. Quant à moi, si je ne suis plus autorisé à en faire, je pourrai garder l’espoir en moi en regardant tes films.

Nader T. Homayoun, un jeune réalisateur iranien, passionnant « conteur » persan, accompagne les films de Jafar Panahi. Son court métrage, Le Cercle Vicieux, sur Jafar Panahi, est projeté dès le premier soir. Il sera présent à la tchatche, accompagnera les projections de son compatriote, assurera la présentation de Bassidji de Mehran Tamadon, plantera le décor politique et cinématographique de son pays devant un public subjugué.


Théâtre de verdure
Photo Nelly Blaya

Le samedi 21 soirée, ouverture. Abderrahmane présente Le Jeu (1988), son film de fin d’études à la VGIK, la célèbre école de cinéma de Moscou. Tourné dans le désert du Turkménistan. Des enfants jouent à la guerre. On sait qu’il a eu du mal pendant ses études, il n’arrivait pas à respecter le programme, ses profs doutaient de lui. « J’estime que l’école est un processus, avec liberté de se tromper…et puis j’ai besoin de temps pour faire un film… »
Le Jeu, suivi à l’écran de Heremakono (2002). Correspondances entre les deux films. Même temps suspendu, vent et sable, plans fixes, paroles brèves, une caméra qui effleure, et suggère des destins empêchés. Quatorze ans plus tôt le réalisateur avait déjà trouvé sa « couleur ».
« La mort est très présente dans Heremakono, ma mère est décédée le dernier jour de tournage… ».
Le saxo de Garbarek participe de ce qu’un spectateur appellera : « Heremakono ou la suggestion permanente ». Ce spectateur qui développe avec brio et émotion n’est autre que Nassim Amaouche, réalisateur du beau et fort Adieu Gary…. Du beau monde à la tchatche !

A partir du dimanche, ce sera la ruée pour ne pas rater la première projection du matin : Sissako et Panahi se partagent l’affiche. La nouvelle a fait le tour du pays, les places sont chères…

Toujours d’Abderrahmane Sissako, Octobre (1992), tourné en Russie. Un couple en blanc et noir, pureté de l’image. L’homme, qui doit regagner l’Afrique, n’a plus le droit d’aimer, celle qui reste garde son secret. Désespoir ordinaire, scénario sur la lame. Deux brefs plans couleur surgis dont ne sait où. Un film qui vous traverse comme un cri. A la tchache, il en parlera peu. Arrivé à 19 ans en Russie, il y est resté 10 ans… « Le rejet de l’autre n’est pas propre à la Russie » et « le symbole d’un film appartient à celui qui le reçoit »
Puis, Rostov Luanda (1997), son film préféré. Un road movie à la recherche d’un ami en Angola. « Le cinéma c’est le hasard, le plus important n’est pas la technologie mais le désir de communiquer », un film « sans préparation, juste provoquer des situations, des rencontres… » Car il est « difficile d’écrire une histoire narrative » Un plaisir palpable.
Bamako, le dernier en date (2006). « Je suis allé vivre 6 mois dans la maison de mon père à Bamako, j’avais 4 caméras dont 3 entre les mains de chefs opérateurs de télés africaines, j’ai travaillé en régie. Impossible d’écrire un scénario. Je voulais de vrais protagonistes… Il s’agissait d’ un improbable procès imaginé par un artiste ».

« Je ne me presse jamais de commencer un nouveau film. Tout le monde me dit que je n’ai rien fait depuis 4 ans… mais je vous demande pardon, j’ai fait deux filles ! » Qui le suivent partout. Et on a scrupule à le déranger quand, couché sous la tente de la garderie, il écoute la dame raconter des histoires aux enfants….


Louxor
Photo Nelly Blaya

Sabriya (1997), qu’il n’aime pas beaucoup. « J’ai eu beaucoup de difficultés à le tourner, je suis rentré dans l’esthétisme et il y a peu d’émotion. » Filmé en grande partie dans un café tunisien du bled, lumières et couleurs à la flamande, un film de genre. A la musique : Ali Farka Touré.
La vie sur terre (1998) : une commande d’Arte à l’aube du deuxième millénaire. Son premier long métrage de fiction. Après avoir entrepris un scénario, il l’abandonne et décide d’aller à Sokolo, à la rencontre de son père qui, à sa retraite, est retourné seul dans son village. Météorologue de formation, il avait fini par diriger l’aviation civile du Mali. Pierre Chevalier accepte le principe d’un film sans aucune écriture. « Je voulais filmer un lieu qui soit universel », « La meilleure façon de parler de moi, lui dit ce père, c’est de parler des autres »
Se réclamer d’Aimé Césaire : « Je m’exige bêcheur de cette unique race », « L’oreille collée au sol, j’entends passer demain ». S’inscrire dans le rythme du village et passer des jours sans tourner. Faire confiance aux gens et à la vie. Décider de faire l’acteur pour ne pas passer pour voyeur. « Il m’est difficile de revoir La Vie sur terre, beaucoup des personnages ne sont plus vivants… » Se souvenir que, lors de la première projection à Bamako, sa mère qui lui avait cousu le costume qu’il porte dans le film, l’applaudissait à chacune de ses apparitions. A la musique, Salif Keita.

Photo Nelly Blaya

Jafar Panahi, lui, n’était pas là pour accompagner ses films. Revu Le Cercle, terrible et magnifique ronde de femmes iraniennes prises au piège d’une société ennemie. Découvert le Ballon Blanc et le Miroir avec, ou la vie à Téhéran à hauteur d’une sacrée petite fille. Reçu le choc de Sang et or…

Il y eut de grands moments :
Le réalisateur, journaliste, critique (et on en passe) Michel Amarger, venu présenter le cinéma de la marge, dut meubler pendant les pannes d’un projecteur fourbu qui découpait l’écran en bandes fines aux chaudes heures de la sieste. Bonne prestation !
Renaud Barret, un des réalisateurs de Benda Bilili, se faisant accuser de colonialisme par une jeune collègue libanaise.
La tchatche de Raed Andoni, palestinien, auteur de Fix Me (2009). Ou comment filmer sa propre psychothérapie pour parler de son pays malade. Sacré bonhomme, entre Nani Moretti et Woody Allen, recevant les louanges avec modestie : « De rien. Je suis unique, je le sais ! »
La découverte de films aussi jubilatoires et beaux qu’ Amsterdam, de Philippe Etienne, Double Take de Johan Grimonprez et La Nostalgie de la lumière de Patricio Guzman l

Et d’autres plus modestes, autour d’une bière dans des débats permanents, et d’autres carrément plus durs, quand de nuit en jour, les heures de sommeil s’évaporant sous les chaleurs additionnées, on en venait à confondre la sonnerie du réveil avec celle de la dernière séance.
Ce fut Gindou 2010. Chaleur et lumières .

Michèle Solle
Août 2010

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