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Gros Plan sur le cinéma nigérien
Publié le : lundi 8 janvier 2007

Le cinéma africain en général, le cinéma nigérien devrait évoluer vers une telle option, non seulement pour devenir compétitif sur le plan international, mais aussi pour répondre aux exigences de qualité, au sens artistique du terme. Le terme commercial reste discutable.

Pierre Haffner, auteur de plusieurs ouvrages sur le cinéma africain, fut professeur de lettres à l’université des sciences humaines de Strasbourg. Il s’est intéressé à "l’Ecole du Niger" dans son étude sur La quête des identités (Regards sur le cinéma africain). Il écrit dans sa conclusion : "Notre rapide enquête nous a permis de mieux comprendre les contours de cet extraordinaire cinéma nigérien, cinéma d’individus, cinéma d’artisans, cinéma populaire au sens le plu noble du terme, loin des mots d’ordre gouvernementaux, loin des hommes du pouvoir, cinéma de raconteurs d’histoire… (qui), sont le plus souvent des prolongements de conversation plutôt que l’art auquel il faudrait immoler tout le monde"

Deux tendances dominantes

Son analyse fait ressortir plusieurs spécificités du cinéma nigérien. Ces spécificités peuvent être cernées au niveau des films, des réalisateurs et de l’environnement institutionnel.

Les films nigériens sont marqués par deux tendances dominantes. D’abord, la tendance moralisatrice, à travers laquelle le cinéaste veut corriger l’homme dans son comportement sans tenir compte des circonstances sociales, économique et politiques qui pourraient le conditionner. Le bien et le mal sont perçus à travers la tradition et le modernisme, le village et la ville. La villageoise auréolée de pureté, tandis que la citadine est présentée comme dépravée, femme fatale. Presque tous les films de la série noire de Djingaré Maïga (ETOILE NOIRE, NUAGE NOIRE, AUBE NOIRE, MIROIR NOIR) se situent dans cette tendance. LE RETOUR DE L’AVENTURIER de Moustapha Alassane et dans une certaine mesure LE WAZZOU POLYGAMME d’Oumarou Ganda appartiennent à cette veine.

La seconde tendance est culturelle. Ici, c’est un débat qui est ouvert. Il fait ressortir les aspects positifs et négatifs de la tradition et de ce que l’on a l’habitude d’appeler modernité. Les films de cette tendance ont la modestie de ne pas vouloir imposer une voie aux cinéphiles. C’est le cas de SAITANE, L’EXILE d’Oumarou Ganda ainsi que LE MEDECIN DE GAFIRE de Moustapha Diop.

Deux tendances absentes

Ces deux tendances du cinéma nigérien laissent apparaître l’absence de deux autres. La tendance politique relevée par Issa Maïzama : " Dans leur analyse du réel social, économique et culturel, les cinéastes essayent d’en faire ressortir la version politique. Toutefois, il n’existe pas de films nigériens d’action politique ou de remise en cause des institutions. En revanche, il n’est pas rare d’observer quelques critiques du pouvoir, le plus souvent schématiques et voilées "

Les films qui se rattachent à cette tendance donnent aux spectateurs une vision de la société qui porte deux objectifs : lui faire prendre conscience des mécanismes sociaux et politiques qui le maintiennent dans la misère, et susciter en lui la volonté d’exiger le changement qui devait améliorer sa condition.

Tout en reconnaissant que cette préoccupation n’est pas affirmée dans les films nigériens on pourrait en percevoir une esquisse par exemple dans LES HANTES DE LA COQUELUCHE de yaya Kossoko, MAMY WATA de Moustapha Diop, SI LES CAVALIERS de Mahamane Bakabé. Il est cependant évident que l’on ne rencontre pas chez les cinéastes nigériens la critique de l’ordre établi telle qu’elle transparaît dans POKO, LAAFI ou dans les films de Ousmane Sembène, Med Hondo et Souleymane Cissé.

La tendance commerciale qui privilégie le divertissement et l’évasion est également absente dans le cinéma nigérien. Les films dits commerciaux ne sont pas légion dans le cinéma africain francophone. On les rencontre plutôt chez les Anglophones, particulièrement chez les Nigérians. Il y a une décennie, LE BRACELET DE BRONZE du sénégalais Tidiane Aw, film bâti autour de poursuites et bagarres, restait l’un des rares exemples. Le cinéma ivoirien, à travers les truculentes comédies de Roger Ngnoan M’bala (AMANIE, ABLAKON) et les mélodrames épicés d’Henri Duparc (BAL POUSSIERE, SIXIEME DOIGT, RUE PRINCESSE) ont ouvert des perspectives d’un divertissement qui ne soit ni gratuit ni aliénant. Bien de jeunes cinéastes l’ont compris. Le cinéma africain en général, le cinéma nigérien devrait évoluer vers une telle option, non seulement pour devenir compétitif sur le plan international, mais aussi pour répondre aux exigences de qualité, au sens artistique du terme. Le terme commercial reste discutable.

Tournage de Cabascabo, un film d'Oumarou Ganda.

Le génie des autodidactes

Les cinéastes nigériens se distinguent également par leur formation. Moustapha Alassane, Oumarou Ganda, Djingarey Maïga ont certainement à démystifier le cinéma. Le succès remporté sur le plan international par les pionniers du cinéma nigérien constitue la preuve qu’ils s’exprimaient sans complexe dans un domaine traditionnellement réservé aux intellectuels. Ousmane Sembène, également autodidacte, n’a rien à envier à son compatriote Paulin Soumanou Vieyra.

Les pionniers ont certainement exercé un certain effet d’entraînement, sur leurs jeunes confrères. C’est la raison pour laquelle, presque tous les cinéastes nigériens sont des autodidactes, "formés sur le tas". Moustapha Diop et Abdoua Kanta plus particulièrement, Inoussa Ousséni et Mariama Hima dans une certaine mesure, apparaissent comme des exceptions dans le lot. En cela, le cinéma nigérien reste le seul dans la sous-région à réunir aussi peu de réalisateurs formés dans les grandes écoles.

Et les grandes écoles ?

Le cinéma burkinabé malien et sénégalais ne manque pas d’autodidactes, mais en majorité les réalisateurs sont des professionnels de l’audiovisuel (photographes, monteurs, régisseurs, animateurs, cameramen).

Lorsqu’ils n’ont pas fait des études supérieures de lettres, histoire, sociologie avant d’entrer à l’Institut africain d’études cinématographiques (INAFEC) pour les Burkinabé), en licence ou maîtrise de cinéma aux universités de paris III ou Paris VIII. D’autres ont été formés au conservatoire libre du cinéma français, à l’institut des hautes études cinématographiques IDHEC), Louis Lumière ou dans les écoles des pays de l’Est. Cette particularité de la formation des cinéastes nigériens pourrait constituer une des faiblesses voire une des causes de l’essoufflement du cinéma nigérien.

Environnement institutionnel par défaut

L’environnement institutionnel du cinéma nigérien est caractérisé par un vide juridique et une absence de structure. Pour comprendre ces carences, il suffit de se référer aux mécanismes qui ont permis au cinéma burkinabé, malien et sénégalais de progresser. Retenons l’exemple burkinabé qui reste la référence pour tous.

Il y a certainement la présence du FESPACO depuis 1969 qui a incité l’ancienne Haute Volta à faire du cinéma une industrie nationale. La création en 1977 de la direction de la production cinématographie (DIPROCI) permet aux cinéastes dont le scénario a été approuvé d’obtenir un soutien en matériel et en techniciens. Ceci est valable pour les productions nationales comme pour les coproductions.

La création au cours de la même année de l’INAFEC qui aura formé 240 cadres nationaux aux professions de l’audiovisuel lance le Burkina progressivement mais définitivement sur la voie de la production cinématographique. Plus tard la création d’une société de distribution et d’exploitation (SONACIB) puis d’un fonds de promotion et d’extension de l’activité cinématographique, destinée à recueillir 15 des 25% de taxes prélevés sur le chiffre d’affaires de la SONACIB, marque une étape décisive. Ce fonds sert à l’acquisition du matériel cinématographique, à financer partiellement l’INAFEC, restaurer des salles de cinéma et financer la production des films.

L’Etat, par ailleurs, donne son aval aux réalisateurs pour l’obtention de crédit et parraine leurs dossiers auprès des bailleurs de fonds internationaux. Il existe également une commission de lecture de scénario qui, après approbation, finance les scénarios retenus jusqu’à un plafonds de 55 millions francs CFA (avant la dévaluation).

Voici présenté de manière schématique l’environnement institutionnel, il faut dire exceptionnel, dans lequel évoluent les cinéastes burkinabé. Cet exemple a inspiré bon nombre de pays où la promotion de l’industrie cinématographique a pu susciter un certain intérêt. A bien y regarder, cet environnement représente une des pièces maîtresse de la dynamique du septième art sahélien …

Dynamique sahélienne du septième art

Lorsqu’on fait l’inventaire des cinémas africains au sud du Sahara, on ne peut s’empêcher de remarquer la place privilégiée qu’occupent certains pays sahéliens. Si le cinéma mauritanien a longtemps dominé par la seule personne de Med Hondo, Abderrahmane Sissako et le cinéma tchadien commence à s’affirmer, on constate en revanche que le Burkina, le Mali, le Niger et le Sénégal ont des productions non négligeables. Leurs créations cinématographiques en quantité en en qualité n’est comparable qu’à celle du Cameroun et de la Côte d’Ivoire.

On constate en outre, que les cinémas burkinabé, malien et même sénégalais jouissent d’une vitalité que ne connaît plus actuellement le cinéma nigérien. Dans les trois premiers pays, la présence des personnalités dynamiques dans la création, l’action des associations nationales des cinéastes, l’existence de structures et d’un cadre juridique contribuant à la promotion du cinéma ainsi que l’intérêt des pouvoirs publics à l’épanouissement d’une industrie cinématographique nationale constituent autant d’atouts qui ont contribué à soutenir cette vitalité.

Ces atouts sont actuellement inexistants au Niger. Bien que participant de la dynamique de l’ère culturelle sahélienne, le Niger apparaît aujourd’hui complètement déconnecté de la dynamique du septième art qui prévaut dans la sous-région avec lesquels il partage un capital de création cinématographique analogue.

Cette déconnexion, plus que toute autre question économique et financière, semble être à l’origine du déclin du cinéma nigérien. Les expériences burkinabé, malienne, sénégalaise" et même nigérienne prouvent suffisamment que si la production cinématographique implique des ressources financières très importantes, les pays africains les plus nantis ne sont pas nécessairement ceux qui produisent des films ni en quantité ni en qualité.

Jean-Baptiste Dossou-Yovo
Clap Noir
09 février 2004

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