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« Johnson »
Publié le : dimanche 14 mars 2010
le doyen des cinéastes africains nous a quittés







Mahama Johnson Traoré, que tout le monde appelait « Johnson », nous a quitté lundi dernier après une longue maladie, à l’âge de 68 ans. Il fut membre fondateur du Fespaco, secrétaire général de la Fepaci (la fédération panafricaine des cinéastes), réalisateur de plusieurs long métrages, dans les années soixantes dix (notamment « Djank bi » en 1968, « Lambaye » en 1972, « reou-taax » en 1972, « Garga Mbossé » en 1975, « Njangaan » en 1975 et « Sarax si » en 1983).
Ses films, tournés en langue wolof à une époque où cela ne se faisait pas encore beaucoup, étaient engagés et dénonçaient les injustices : conditions de vie des femmes, exploitation des talibés, exode rural etc. Il préparait un film, « Nder ou les flammes de l’honneur », sur un village d’un royaume traditionnel du nord du Sénégal dont les femmes avaient, dans les années 1820, "préféré mourir plutôt que d’être réduites en captivité". Il dirigeait également une revue (Les cahiers d’Afrique) et intervenait auprès de nombreuses instances en faveur du cinéma.

L’homme était grand, élégant, d’une intelligence vive et curieuse et avait tissé des liens avec toute la génération des plus jeunes. Il savait donner. Sa sensibilité politique, toujours à l’affût, se mêlait avec un sens de la tempérance, du compromis. Il avait sur tous ceux qui l’entouraient une autorité naturelle et pour beaucoup, il incarnait une figure paternelle de cinéma.
Mama Keita, qui a réalisé L’absence (prix du scénario au Fespaco en 2009) étaient un de ses proches :

« Johnson était le doyen. C’était un témoin du cinéma africain et c’est sans doute pour cela que le Festival Panafricain d’Alger l’a sollicité en 2009. Il était le seul cinéaste africain a avoir vécu le festival panafricain d’Alger en 1969. Il avait le respect de tous les cinéastes africains et il était, de ceux de la génération passée, celui qui était le plus proche de la nouvelle génération. Nous le connaissions tous, nous connaissions tous le chemin jusqu’à chez lui. Il était attentif à ce que nous disions, pensions et faisions. Il avait donc une influence discrète. Il était aussi une sorte de juge de paix, capable d’arbitrer des conflits. Combien de fois me suis-je senti apaisé, lors d’un conflit, après une discussion avec Johnson ! Lorsque la Guilde des réalisateurs a implosé (parce que certains sont partis ou que des tendances se sont dessinées), il a joué un rôle stabilisateur et pacificateur. Tous les fous furieux que nous étions se taisaient lorsqu’il prenait la parole. Il a joué ce rôle de patriarche pendant des années malgré ses difficultés de santé. Sa maladie (du rein) lui avait fait prendre du recul, il avait conscience du temps court qui lui restait et nous enseignait d’aller à l’essentiel. Il n’a d’ailleurs jamais autant lancé de projets que depuis qu’il était malade. Il n’a jamais lâché, malgré la souffrance. Il s’est battu jusqu’au bout, en vaillant soldat du cinéma africain. J’ai souvent dû le visiter à l’hôpital. Pour moi, nous étions voisins et je le voyais très souvent. Parce que je suis un Keita et qu’il est un Traoré et que nous partagions cette racine malinké commune. Il était pour moi le lien charnel avec mon enfance sénégalaise. Parce que c’était lui, parce que c’était moi – comme disait l’autre ! Je pensais à lui chaque jour car j’étais abonné au Monde en ligne et je lui envoyais des articles. Ses champs d’intérêt étaient vastes : cela allait du cinéma à la politique – française, africaine – en passant par le sport et le jazz, une grande passion !
J’irai dès que possible me recueillir sur sa tombe, à Dakar, dans le cimetière où sont déjà enterrés Samba Felix Ndiaye, Djibril Diop Mambety… Sembène Ousmane est mort en juin 2007, Tidiane Aw et Thierno Faty Sow en 2009. Maintenant, nous n’avons plus d’aîné, nous sommes la ligne de front. »

Caroline Pochon

  • Le 16 mars 2010 à 18:46, par maestro cheikh

    moi ce qui me frappe sur sa disparution c’est j’étais sur le point d’aller chercher des informations pour le métier de réalisateur alors j’ai appris à la radio qu’il vient de nous quitter.si je pouvais trouver quelqu’un au sénégal pour m’aider me ferais reconnaissant

    • Le 29 mai 2010 à 02:08, par Laura

      Wow, j’adore votre blog, merci pour votre aide, et notez dans un 1er temps que je "plussoie" cette opinion. Hum tout est dit, oui votre billet est bien bon, j’espère vous lire à nouveau très bientôt... Vivement la suite !

      Voir en ligne : radio

  • Le 25 mars 2010 à 20:29

    Avec le départ des anciens du cinéma africain, il devient impératif que la jeune génération prenne "vraiment" le relai.

    Il faut le dire, les anciens ont fait, avec des bouts de ficelles, les beaux jours du cinéma africain. Aujourd’hui, les moyens se font beaucoup plus accessible, grâce aux numériques.

    Même si les financements ne suivent pas toujours, un sursaut doit se faire pour renouer avec la production. Le cas contraire, ...

    Va en paix Johnson. Que ta disparition soit, pour la jeune génération du cinéaste, comme un graine qui vient d’être mis en terre.

    Repose en paix.

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