Accueil > Articles > La force du Oud
La force du Oud
Publié le : lundi 30 novembre 2015
A peine j’ouvre les yeux de Leyla Bouzid

« A peine j’ouvre les yeux », chante Farah. Et il est vrai qu’elle les ouvre sur un monde qui s’offre enfin. Elle vient d’obtenir son bac (mention TB). Quant aux paroles de la chanson, elles égrènent les misères qui agressent le peuple tunisien dès son réveil, la misère, le quotidien étouffant, la police secrète....

Premier long métrage de la réalisatrice Leyla Bouzid : C’est l’été 2010 à Tunis, il y a urgence à vivre sous un soleil qui fait mûrir à toute vitesse fruits et ados. Emportée par un irrépressible élan, Farah, découvre son pouvoir de séduction, chante des textes engagés dans un groupe de rock, est amoureuse du joueur de oud, se rebelle contre une mère trop inquiète, un père absent, la répression dans l’ombre, partage sa révolte avec ses potes musiciens au cours de concerts nocturnes chauds bouillants. A peine la vie lui ouvre ses bras que la réalité la rattrape...

Point n’est besoin d’être tunisien pour parler de la Tunisie, ni d’être une fille pour traiter de la condition féminine, ni d’avoir vécu à Tunis en 2010 le dernier été de l’ère Ben Ali pour se lancer dans la bataille. Mais ça peut aider ...Plus encore si on choisit la musique comme vecteur inaliénable des valeurs universelles. Leila Bouzid, jeune réalisatrice tunisienne, formée à la Fémis, livre, 4 ans après la révolution, une sorte d’état des lieux d’une société sous pression, un film bouillonnant dont les thèmes abordés sont autant de clés pour suivre l’évolution du pays . Radioscopie d’une révolution, de ses antécédents et de ses suites.

Loin du reportage tourné sous le manteau à la va vite, ce film brillant est imaginé, construit, fabriqué de main de maître. Leila Bouzid a écrit elle même les textes des chansons, en dialecte tunisien, a demandé à Khyam Allami, talentueux joueur anglo-irakien de oud, l’un des cofondateurs de l’Alif, d’en écrire la musique, puis a créé un groupe de musiciens de rock alternatif. Elle a filmé toutes les scènes de concerts en live et c’est magnifique. Sa jeune actrice Baya Medhaffer, n’est pas chanteuse, mais sa jeune voix brute de décoffrage, emporte tout sur son passage.
La véritable chanteuse du film, c’est Gahlia Benali, qui tient le rôle de la mère Hayet. Subtil glissement de casting qui renforce, underground, les liens entre les deux femmes, pourtant opposées, jusqu’au duo final.
Ivre de liberté Farah, vibre et s’enivre, inconsciente de son environnement, découvrant le monde, la désobéissance. Autant de cadeaux longtemps attendus, hélas empoisonnés ! Petite chèvre de monsieur Seguin au pays du jasmin.
C’est par la musique, dernier bastion de liberté, que Leila Bouzid passe ses messages : réveil de la jeunesse, soif d’une société plus juste, rejet de l’état policier, besoin de projets. En même temps, qu’elle renvoie les hommes a leurs contradictions, déchirés entre modernité et conservatisme.
Fuyant la tutelle étouffante d’une mère inquiète, d’un père absent car employé sur le bassin minier de Gafsa,( d’où sont parties les premières révoltes en 2008, hommage rendu par la réalisatrice), Farah, désormais en première ligne, découvre, à l’image de la jeunesse tunisienne, les vrais enjeux politiques qui se jouent.

Le film, à l’énergie créatrice hors du commun, rafle les prix partout où il passe, dont celui du public à la Mostra de Venise et 3 au festival de St Jean de Luz. Il a fait partie de la sélection des JCC 2015 à Tunis où il a reçu 4 prix dont le Tanit de bronze et le prix Fipresci. Un succès, dans ce pays où, depuis 4 ans, enthousiasmes et désenchantements se succèdent. « Et où, je crains par dessus tout, que le souvenir de ces mois de révoltes s’estompent avec le temps... » Dont acte !

Michèle Solle
Auch 2015

Laisser un commentaire

Également…
1
>

Clap Noir
Association Clap Noir
18, rue de Vincennes
93100 Montreuil - France
Tél /fax : 01 48 51 53 75