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Un plaidoyer brûlant pour la liberté de chacun
Publié le : mardi 26 décembre 2017
I am not a witch - Je ne suis pas une sorcière

Sortie française de "I am not a witch" de Rungano Nyoni

Critique

I am not a witch est un premier long métrage ambitieux à bien des égards.
Rungano Nyoni choisit d’entrée de jeu de faire reposer son film sur les frêles épaules de son personnage Shula, petit bout de femme de 9 ans, fort et fier au tempérament bien trempé. Le défi est relevé de main de maître grâce à la prestation franchement impressionnante de Maggie Mulubwa, incarnation superbe et rafraichissante de la féminité opprimée.

Tout est clair dès l’exposition. Shula est seule, personne ne veille sur elle. Dès lors elle est vulnérable, exposée à toutes les malveillances, qu’elles soient dues à la peur, à l’incompréhension, à la bêtise, à la haine ou à la jalousie. Dans l’adversité Shula garde le silence, comme si elle économisait ses forces.
En dépit de son jeune âge elle a la sagesse de savoir que rien de ce qu’elle pourrait dire ne serait en mesure d’arranger sa situation. Elle n’est ni plus ni moins qu’un bouc émissaire et elle en a pleinement conscience.
Son salut ne repose vite plus que sur deux personnages aux motivations très différentes : d’une part une jeune femme policier - interprétée avec beaucoup de conviction, de subtilité et d’humour par Nellie Munamanga - que l’absurdité de la vindicte populaire irrite visiblement, mais qui est impuissante à y soustraire l’enfant malgré ses efforts et d’autre part un officier de police un peu gauche et débonnaire qui s’avère rapidement moins innocent qu’il ne le parait.

L’aventure de Shula au pays des sorcières commence après que ce dernier se voit confié l’enfant. C’est sous son autorité qu’elle est conduite en brousse parmi ce qui va devenir sa nouvelle famille, les vieilles femmes du camp qui l’adoptent aussitôt comme une des leurs et lui témoignent bienveillance et empathie.

Rungano Nyoni filme un camp de brousse où vivent regroupées ces "sorcières" désignées qui par leurs familles, qui par leurs voisins, pointées du doigt et écartées du reste de la société dans une retraite certes sûre qui n’a pour objectif final que de les réduire à l’esclavage avec l’assentiment général... Finalement la magie, la grande illusion n’est pas là où on l’attend. C’est en substance le constat ironique que fait l’auteure sans s’appesantir davantage.

On est obligé de penser à Delwende, lève-toi et marche de Pierre S. Yaméogo qui abordait frontalement les centres de Ouagadougou où sont forcées de trouver refuge les "mangeuses d’âme" que la tradition, la superstition ainsi généralement qu’une bonne dose de malveillance livrent à l’exclusion, à la solitude et à la précarité totale.
I am not a witch opte pour un traitement moins frontal. Privilégiant la dimension poétique de son récit, la réalisatrice matérialise par de longs rubans attachés au dos des "sorcières" le rapport de soumission à l’institution dans lequel sont maintenues ces femmes injustement frappées par l’opprobre. L’alternative est claire, la liberté ou la vie. Comme en clin d’oeil à Alphonse Daudet et à sa "Chèvre de Monsieur Seguin" qu’évoque immanquablement le film, Rungano Nyoni rend explicite les règles de la vie au camp où la soumission est instituée comme seul gage de sécurité. Une lueur d’espoir naît alors que s’incarne la possibilité de quitter le camp, de détacher le ruban qui asservit et de rejoindre le monde libre... mais la désillusion guette, là aussi. Il n’y pas de happy end possible.

De là à voir dans I am not a witch une critique de la société et de ses travers qui irait au-delà même du féminisme ou de toute cause particulière, qui décrirait la normalisation d’une certaine marchandisation de l’humain et de la restriction continuelle et sournoise des libertés individuelles au service de l’intérêt d’une petit nombre dont le pouvoir s’applique à tous et produit toujours plus de victimes, chez les plus vulnérables en particulier, il ne pourrait y avoir qu’un pas.
Mais si l’on pourra dire que ce long métrage nous fait boire la coupe jusqu’à la lie, sans ménager ni ses personnages ni le spectateur, il n’en reste pas moins un plaidoyer brûlant pour la liberté de chacun d’assumer sa propre identité et son propre chemin en toute liberté.

Sophie Kamurasi

I am not a witch (Je ne suis pas une sorcière) de Rungano Nyoni
Zambie - France - UK 2017, 94’
Quinzaine des réalisateurs Cannes 2017

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