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L’oeil du cyclone sur les écrans français
Publié le : vendredi 17 novembre 2017
Sortie nationale le 22 novembre 2017

L’oeil du cyclone de Sékou Traoré
France - Burkina Faso 2015 104’

Critique

On pourra dire que Sékou Traoré n’a pas fait dans la simplicité pour ce premier long métrage de fiction à la réalisation. L’oeil du cyclone s’attaque à la question des enfants soldats, estimés à 150.000 dans des conflits armés à travers le continent. Contrairement à son prédécesseur Ezra - de Newton Aduaka - présenté au Fespaco en 2007, L’oeil du Cyclone choisit de s’intéresser à son personnage plus tard, alors qu’il est devenu homme, "Colonel" de surcroît, posant ainsi la question d’une possible rédemption pour ceux dont la vie ne s’est développée qu’au son du fusil mitrailleur et dans un état de semi-conscience entretenu par leur hiérarchie grâce à une profusion de drogues et d’alcool.

Mais le film et son auteur sont bien décidés à ne pas s’arrêter là, ils se penchent aussi sur autant de questions sociales qui viennent travailler le film de l’intérieur et gravitent autour du procès de celui dont on découvrira finalement le nom - Blackschwam - grâce au seul acharnement de son avocate, cette "petite-fille" que lui-même dénigre avant de mesurer son habileté et sa détermination : question de la place sociale de la femme justement, question de la corruption, de la reproduction des élites, des conditions de détention, des réseaux de financement des conflits et de l’implication des puissances internes et étrangères, question aussi du droit inaliénable pour chacun à une défense de qualité quelle que soit la lourdeur des charges retenues... On saluera la soif de l’auteur d’aborder autant de sujets qui nécessiteraient d’être portés au débat public.

L’exercice s’avère difficile cependant. Si le challenge d’Emma Tou, brillante avocate sous-estimée par ses confrères en raison de son genre est de nature à nous saisir et à créer l’empathie pour son personnage et sa mission, il nous renvoie aussi, un peu trop frontalement, au personnage de Clarice dans "Le Silence des agneaux" - Jonathan Demme, sortie en France en 1991 -. Ici c’est Hitler Mussolini qui tient lieu et place d’Hannibal Lecter mais comment ne pas avoir la comparaison en tête en voyant l’Oeil du cyclone (et elle est ardue tant Jodie Foster et Anthony Hopkins y livraient des prestations qui resteront pour chacun parmi leurs plus mémorables).

Sekou Traoré évite en tout cas les écueils de l’angélisme en dévoilant par fragments la vie d’un homme bel et bien coupable des crimes pour lequel on le juge... et pourtant peut-être pas vraiment responsable ? La question reste posée, paradoxe laissé tel un petit caillou dans chaussure de notre conscience.
Le film renvoie aussi à sa propre responsabilité une société qui ferme les yeux sur les pratiques qu’elle encourage, une population qui se laisse basculer trop facilement dans la haine alors même que celle-ci est instrumentalisée pour mieux manipuler les masses, une classe politique qui s’accommode de ses "petits arrangements" avec la morale quand le profit est à portée d’attaché-case et une classe intellectuelle qui se complaît trop souvent dans un conservatisme qui assure le confort du sérail.

Avec quantité de prix remportés pour soutenir la carrière de ce premier long-métrage de fiction, on guette la suite du parcours de Sékou Traoré à qui l’on souhaite une bonne et longue route.

Sophie Kamurasi

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