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Disparition de Cheick Fantamady Camara
Publié le : lundi 21 novembre 2016

Le cinéaste guinéen, grand ami de Clap Noir, nous a quitté le 6 janvier 2017. Réalisateur du fameux film "Il va pleuvoir sur Conakry", Cheick Fantamady Camara préparait la sortie de son dernier long métrage "Morbayassa", en sélection officielle au dernier Fespaco 2015 où il a obtenu le prix de la Diaspora Paul Robeson.
Clap Noir vous propose de revenir sur l’entretien qu’il nous avait accordé, en avril 2008, à propos de son cinéma et de son engagement à montrer la vraie image de l’Afrique.

La représentation que donnent les médias sur l’Afrique est souvent négative. Est-ce que tu comptes t’emparer du cinéma pour montrer un autre visage du continent ?

Oui bien sûr. Le gros problème c’est que les dirigeants africains ont confié l’image du continent à l’occident. C’est comme si je disais « tiens je te laisse t’occuper de ma dignité, ma personnalité, mon « MOI ». ». Ignorance, abandon ou démission ? La question reste posée c’est grave. Je disais au festival Diverciné à Ottawa récemment, (j’étais devant un parterre d’ambassadeurs y compris africains avant la projection) que l’on ne peut pas confier éternellement son image à d’autres personnes. Il est temps que les africains se la réapproprient. L’Afrique ne véhicule pas elle-même son image. Elle est représentée sous la coupe de tout ce qui est négatif.

Est-ce que le cinéma peut amener une conscience en bousculant les idées reçues ?

On dit que le cinéma ne peut pas changer le monde mais il aide à réfléchir. La mauvaise image donnée à l’Afrique n’est pas la responsabilité que de l’occident, aujourd’hui. Des africains aussi jouent le jeu de l’occident. Cela se voit à travers : comment filmer et parler de l’Afrique ? C’est de la faute à tous les médias. Même le malheur peut être présenté avec une certaine dignité. Il y a le malheur partout. Je vois ici en France des pères de famille qui se nourrissent dans les poubelles. Je disais à Ottawa que chez nous, en Afrique, je n’ai jamais vu quelqu’un qui n’est pas fou, manger dans une poubelle. L’image de l’Afrique est véhiculée de manière à faire peur. Il y en a même qui ont peur de venir en Afrique. Tout est négatif. Ceux qui viennent en Afrique sont même déçus ou surpris de la découvrir contrairement aux idées reçues. A mon avis, maintenir l’Afrique dans des images comme ça, est un moyen, un argument pour toujours rester dans le continent et le piller. C’est aussi une source financière pour ceux qui prétendent aider depuis des siècles.

Comment la superstition et la religion, ancrées dans les valeurs traditionnelles africaines peuvent-elle évoluer ?

A mon avis, il faut la sensibilisation, encore une fois, interpellation des médias et artistes africains. Aider les populations à comprendre que la superstition et la religion sont l’arme des ignorants, des fatalistes. Que ces deux entités, religion et superstition, peuvent être le repère culturel et spirituel des peuples mais, pas, une raison de vivre comme nous le constatons dans des pays en Afrique. La redéfinition de la notion de Dieu, serait très importante pour le peuple africain. Ce travail doit être fait par la nouvelle génération. La nouvelle génération de médias qui, à un certain moment doit dire non à certaines choses. En même temps, même si la nouvelle génération de média et d’artiste veut rectifier le tire, s’il n y a pas de vraie politique derrière le métier, les autres resteront toujours puissants et dominants. Encore, la question de sa propre image…

Aussi, il y a un problème fondamental : la question d’identité de l’Afrique noire. Depuis 500 ans, son identité est en déséquilibre spirituelle car rien n’est propre à elle. Elle est bloquée depuis cinq siècles par toutes ces spiritualités qui se sont greffées à elle. On ne sait même plus où sont nos propres spiritualités qui sont les privilèges de la planète. A nous de redorer cela en les présentant autrement.

Si « Il va pleuvoir sur Conakry » est populaire, c’est parce que les gens découvrent une autre Afrique. Ils découvrent un choix, un projet qui permet de redorer leur propre identité.
Je ne dis pas que je n’ai pas été du coté des maraboutages, j’étais adolescent je ne comprenais rien mais à partir du moment où j’ai été à l’école, je me suis mis en tête qu’il y avait quelque chose qui clochait quelque part. Je n’ai pas envie de suivre la même vague. J’ai envie de présenter l’Afrique autrement, même dans le malheur mais avec dignité. La responsabilité est aux états, aux mentalités, et au peuple, tous ensemble.

La religion et les marabouts sont aussi liés et très présents dans la sphère politique. Il faut encore plus de temps pour réveiller les politiques…

Tu sais, chez nous il y a un truc drôle qui dit : « rien n’est plus difficile que de réveiller quelqu’un qui ne dort pas ! » ce n’est pas possible, il ne va jamais se réveiller car il ne dort pas de toutes façons. C’est donc une nouvelle source pour les politiques qui aiment à se maintenir au pouvoir. J’ai entendu dans un chant d’Alpha Blondy qui dit « ces roitelets qui veulent entrer dans l’histoire par la petite porte… ». Ce sont tous ces derniers bastions de dictateurs qui sont dans le continent mais ils se verront rattraper par l’histoire un jour, mort ou vivant. S’ils échappent au procès de l’humanité, ils n’échapperont jamais à celui de l’histoire.

Optimiste, il ne faut pas oublier que l’Afrique bouge. On ne le sent pas car nous sommes toujours couverts par ces mauvais médias qui présentent notre continent autrement.

Les gens changent de mentalité, à mon avis, le cinéma doit y contribuer fortement. Il faut que les africains s’approprient eux-mêmes leur cinéma. Il y a aussi tout le secteur de l’art ; les musiciens sont très actifs, le théâtre et l’écriture aussi.

Le cinéma sera t-il aussi bien représenté que la musique internationalement ?

La réponse c’est que c’est toujours des problèmes financiers. Je crois que nous, africains, devrions nous emparer de la vidéo. L’orgueil mal placé fini toujours par s’écrouler. Je ne suis pas très friand de la pellicule car cela coûte cher. La qualité est irréprochable mais le cinéma doit éclater avec la vidéo. Le problème est que ce n’est pas cadré ; manque de formation chez les jeunes pour écrire des histoires consistantes et faire des films plus professionnels. On voit le Nigeria qui a explosé mais la qualité du produit reste à définir. Cela a commencé à bouger, on le voit.

Tu t’affranchis en général des spécificités techniques liées au numérique pour te concentrer à l’écriture. Qu’est ce que tu as eu envie de dire la première fois, est ce que tu as eu l’occasion de l’exprimer dans tes films ?

Je crois que j’ai eu dans ma tête l’occasion de sortir beaucoup de stress par rapport à moi-même. Pas moi Cheick mais en tant que Noir. J’ai fait deux ans de travail solitaire intense au Burkina Faso, avant de réussir à sortir de ma prison spirituelle. Je n’osais même pas en parler à quelqu’un. J’étais enfermé dans deux spiritualités : l’Islam et le Christianisme. J’ai refusé cela. Pour dire non à ces 2 religions, cela m’a prit deux ans. Quand j’ai réussi ma mission je me suis senti tellement heureux, tellement en harmonie avec moi-même. J’ai repris contact avec ma vraie identité. Tout se joue dans la tête. Depuis je suis fier de regarder une peau blanche en face et dire que je suis animiste, animisme positif, la première spiritualité de la planète. Je ne suis ni musulman, ni chrétien, je ne suis pas contre eux, mais je me sens différent d’eux. L’HOMME peut tout partager sauf son identité.
A la suite de ça je te jure, c’est une des sources d’inspiration de mon film. Il a beaucoup de lecture mais l’une des sources de ce scénario vient de là : ma liberté. J’ai peut être pas réussi à le dire à cent pour cent, mais, c’est ce que je pensais dire aussi. Le reste c’est autre chose.

La liberté de parole est un message d’espoir ?

J’ai toujours mon regard sur l’Afrique et je critique ma société. C’est ce qui fait avancer une société. On le voit en occident. Mais je n’aime pas présenter tout cela dans un climat de misère et d’obscurantisme.

L’Afrique est belle, c’est une belle population comme tous les gens du monde. Nous avons été victimes de l’histoire mais, on ne va pas vivre de ça toute la vie. On a vu des sociétés qui ont été torturées, humiliées dans le monde et qui se sont redressées. Quand le soleil est venu, ils ont redorés leur identité et sont devenus forts, respectés, pourquoi pas l’Afrique ?

Propos recueillis par B. Tiprez
Avril 2008

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