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Lahcen Zinoun : un cinéma où la culture mène la danse
Publié le : lundi 18 février 2013

Il n’a pas son égal pour filmer la beauté et la sensualité du corps humain. Normal, le danseur étoile Lahcen Zinoun, est passé de la danse au cinéma. Mais son dernier long métrage : « Femme écrite » montre que l’homme n’a pas changé de combat : la sauvegarde de la culture de son pays. Il y raconte l’assassinat d’une femme berbère dont le mobile, semble avoir été d’effacer un tatouage sur sa peau qui contenait une information trop compromettante. Une sorte de métaphore cinématographique qui vient rappeler les menaces qui pèsent sur la civilisation berbère et ses valeurs.

Entretien avec le réalisateur du film « Femme écrite »

Votre film est-il une métaphore sur le thème de la perte de l’identité et de la culture ?

La question du tatouage au Maroc m’a posé problème dès mon enfance. J’ai vu ma mère se faire tatouer puis ma tante (comme beaucoup d’autres marocaines) effacer ses tatouages avec de l’acide sulfurique en laissant d’affreuses cicatrices sur sa gorge et sa nuque… Beaucoup de femmes s’effaçaient leurs tatouages en faisant usage d’une véritable sauvagerie à l’égard de leur corps. Lorsque j’étais petit, cet acharnement à effacer ces tatouages me posait question et je me demandais pour quelles raisons on tenait tant à les faire disparaître. En me penchant sur la question, j’ai découvert que ce tatouage est une mémoire. La seule mémoire écrite des marocains. Certes, il existe de nombreux écrits sur l’histoire des différentes royautés qui se sont succédées dans notre pays mais le peuple marocain lui, ne se construit que dans l’oralité. La seule mémoire écrite de l’histoire du peuple marocain est donc finalement celle des berbères.

Pourquoi les tatouages seraient la seule mémoire écrite puisque l’on a retrouvé de nombreux ouvrages et des stèles funéraires avec en écriture Tifinagh ?

Oui bien entendu. Mais je veux dire par là que la plus belle des choses est l’écriture sur le corps car c’était une écriture complète. Une écriture identitaire qui saluait la beauté, jouait un rôle de protection et qui portait aussi en elle la mémoire des guerres. Toutes les guerres ont été écrites sur le corps de la femme berbère. La question se pose donc face aux problèmes du détatouage de savoir qui a voulu effacer cette mémoire. Dieu seul le sait. Je me pose la question. Pourquoi on a voulu l’effacer ?
Est-ce le tatouage ne marquait pas aussi l’appartenance à une tribu ?
Oui effectivement lorsque le Maroc était envahi, et qu’on avait besoin de s’identifier on le faisait en inscrivant une identité dans le corps. On marquait ainsi à quelle tribu on appartenait, dans quelle région elle vivait … Cette fonctionnalité a permis au tatouage de s’imposer.

Pourquoi inscrivait-on d’après vous plus de chose sur le corps de la femme que sur celui de l’homme ?

Peut-être parce que la femme est plus forte et résistante que l’homme. Doit-on supposer que c’est parce que l’homme est plus fragile que la femme ou parce qu’elle supporte mieux la douleur que lui que l’on a choisi la femme pour le porter ? Il y a effectivement beaucoup de questions à se poser.
Une chose est certaine, à une époque, une femme non tatouée était considérée comme une femme nue. L’habit de la femme, c’était le tatouage. La beauté de la femme aussi. C’était un ornement, une décoration qui habillait la femme à une époque donnée. Voilà peut être quelques unes des raisons pour lesquelles on choisissait plutôt la femme pour porter le tatouage.

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Lahcen Zinoun © DR

Pourquoi votre personnage féminin principal porte-t-il le nom d’une poétesse berbère « Mririda » ?

C’était une poétesse qui appartenait à la tribu des « Aït Atta » et vivait dans un village qui était une enclave isolée du monde. A l’instar de sa tribu très rebelle au pouvoir alaouite, Mririda était une femme révoltée, émancipée et très belle. Elle est tombée dans l’oubli au point que certains ont même nié l’existence de cette femme libre en disant que Mririda n’est que le fruit imaginaire de Roger Euloge, un instituteur français qui avait tenté de faire connaître ses poèmes !
Ainsi, dans mon film, le dédoublement de cette femme, c’est le corps mémoire et le corps physique. A mon sens, le corps mémoire est le parchemin où sont écrits ses souvenirs. Le corps physique représente le corps palimpseste, avec toutes ses relations avec ses amours.

Avez-vous choisi une femme pour représenter la culture berbère parce que cette société a souvent donné des droits aux femmes par le passé ?

Oui absolument. Je le fais comprendre dans le film. Il y a une scène de déclaration d’amour clamée devant tout le village avec poésie. Voilà un exemple d’une tradition chez la tribu des Aït Atta qui est considéré comme « haram » par les intégristes aussi.

Vous parlez de la valeur de l’amour chez les Aït Atta, vous voulez dire que les mariages arrangés et d’intérêts n’étaient pas monnaie courante dans cette tribu ?

Exact. Il n’y a pas de mariage arrangé chez les Aït Atta, ce sont des déclarations d’amour en public. C’est une culture. Quant on est amoureux, on le déclare et ça se respecte.
L’existence de femmes guerrières, comme Kahina ou poétesses, comme Mririda prouvent que les femmes berbères ont eu accès à une grande liberté et au pouvoir.

Ne pensez-vous pas que c’est la preuve qu’il préexistait en Afrique du Nord des sociétés matriarcales ?

Oui c’est certain. Malheureusement, ce n’est plus le cas maintenant.

Vous dites que certaines traditions anciennes ont été considérées comme « haram » (péché) mais d’autres ont quand même été adoptées par la religion…

Oui c’est vrai, nous avons beaucoup de traditions qui ont été adoptées par la religion. Bilmawen par exemple est un rituel plus ancien que l’Islam qui l’a pourtant adopté. Et d’ailleurs, il se fête le lendemain de la fête du sacrifice du mouton, l’Aïd Kebir. Bilmawen nous vient d’ailleurs du berbère, qui après l’arabisation a trouvé plusieurs appellations (Boujloud ou Boultaïm ou Hairma) aujourd’hui dans la langue marocaine.

Traditions et culture artistique sont étroitement liées. Pensez-vous que la religion aime l’art ?

Je vais vous donner un exemple. Toutes les danses marocaines comme l’Ahidous, ou l’ahwach et leurs dérivés sont des danses qui ont existé avant l’arrivée de l’Islam et elles existent toujours ! Cela implique que l’Islam n’est pas contre l’art. Jamais l’Islam n’a d’ailleurs dit qu’il faut arrêter de danser !

Votre film a provoqué certaines polémiques, pourquoi d’après vous ?

Il y a tout de sorte de réaction. Je suis conscient qu’il a alimenté certaines polémiques. Ces critiques sont liées à la relation de mon film au corps. Certains ne veulent pas admettre la liberté du corps, d’autres l’acceptent.

Propos recueillis par Karine Dachy
Journaliste au Maroc

Femme écrite
Un film de Lahcen Zinoun, Maroc, 2012, 90’
Le site web du film : http://femmeecrite.com/

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