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Le numérique, une voie pour le cinéma africain
Publié le : samedi 4 janvier 2003

"Je suis pour toutes les innovations mais il faut voir ce que cela donne, sur quoi on débouche, quel public touche-t-on en plus… dans un pays où la piraterie est un gros problème, qu’est ce qu’on fait ? ". Bassek Ba Kobhio.

Bassek ba Kobhio est camerounais. Ecrivain, producteur, créateur du festival "Ecrans Noirs" en Afrique Centrale, il a réalisé de nombreux films de fiction ou documentaires, dont deux longs métrages " Sango Malo " (Un certain regard , Cannes 1991) et " Le Grand Blanc de Lambaréné ". Il a produit et réalisé avec Didier Florent Ouenangaré en 2003, "Le Silence de la Forêt".

Est-ce-que le DVD règlera une fois pour toute la diffusion des films africains en Afrique ?

Oui, on en n’est même plus au stade de la réflexion. On ouvre à Yaoundé 3 salles permanentes avec ma collaboratrice Patricia qui était justement en train de régler l’équipement de vidéo-projecteurs. La 1ere salle, je l’ai faite sur un terrain qui m’appartenait, la 2eme salle est une sorte de gros bar populaire qui a fermé et qu’on a repris dans un quartier populaire, donc nous on est totalement acquis à cette idée là. Quand j’avais demandé ça à Cannes la dernière fois, j’avais eu beaucoup de réticences, ils ont maintenant accepté de considérer la diffusion numérique comme quelque de chose de tout a fait important et qu’ils devaient être là. C’est vrai que ce n’est pas encore la qualité totale d’une projection numérique mais en attendant, ça va être la solution.

Cela sera d’aussi bonne qualité que le film …

Oui, quand tu vois nos salles de projection, y’a la qualité. C’est même plus que le 35 mm complètement rayé. On me parlait des projections qui se faisaient au Bénin et je connais quelqu’un qui est installé au Bénin et qui va se lancer là dedans, donc nous on pense que c’est la voie de l’avenir en Afrique.

Le marché de la vidéo en VCD* a explosé au Nigéria et a relancé la production locale ; le Cameroun est- il prêt à exploiter ce support ?

Je suis pour toutes les innovations mais il faut voir ce que cela donne, sur quoi on débouche, quel public touche-t-on en plus… dans un pays où la piraterie est un gros problème, qu’est ce qu’on fait ? Dans tout les quartiers, tu as des petites boites qui te diffusent des DVD* du matin au soir et qui te font payer 50 FCFA (8 cts euros), faut organiser tout cela car ça ne l’est pas dans notre pays.

L’auteur en Europe est protégé par des lois et touche des droits malgré cela…

Oui, les sociétés de droit d’auteur existent et c’est ce qui manque chez nous. Le territoire de la piraterie chez nous se fait pratiquement parce que la marchandise n’est pas disponible. Et puis, quand tu vends un DVD à 10 000 FCFA (15 Euros) chez nous, c’est un gros problème. Il faut savoir où est ce qu’on va.

De plus en plus de réalisateurs tournent en numérique et font leur post-production en Europe. Est ce qu’il ne serait pas mieux, compte tenu des possibilités qu’offre le montage virtuel, qu’il y ait plus de studios de post-production en Afrique ?

Est-ce-qu’il y a beaucoup de gens qui peuvent s’offrir ça en Afrique. Moi j’ai acheté un banc de montage que j’ai pu amortir avec " Le silence de la forêt " mais quand t’ajoute tout le nécessaire, ça m’a quand même coûté 50 millions CFA (76 000 Euros), ça c’est la 1ere chose, et il y a aussi la maîtrise de l’outil. J’ai fait venir un monteur de France alors que j’avais des jeunes qui travaillent sur ce banc mais qui n’avaient pas encore toutes les connaissances pour maîtriser cela.

L’enjeu de formation est un très grand enjeu. Je me méfie des formations qui ne sont pas directement liées à un emploi ni à une boite de production ni à une utilisation. Dans un document, on a recensé toutes les formations qu’il y a eu pour les africains ; quand tu prends l’agence de la francophonie, depuis 14 ans je crois, qui a réuni des gens chaque été à Bordeaux pour faire de la formation, ça a rien donné. C’est un domaine que je prends avec beaucoup de doigté car la masse d’argent qui a été mise là dedans est énorme, maintenant l’efficience de la formation par rapport aux besoins locaux est un gros problème, c’est pour ça qu’il faut savoir pourquoi forme-t-on les gens ? Si c’est pour faire sur des petits PC, c’est très facile de former localement.

Il y a de plus en plus d’africains qui filment en DV, cela pourrait-il dynamiser la production locale ?

Tout a fait, mais y’a de plus en plus de jeunes qui se forment sur le tas, ce qui m’inquiète, ce sont les chiffres que j’entends qu’on débloque pour les formations des gars. Il vaut mieux prendre deux tiers de cet argent pour donner aux jeunes dans nos pays qui se battent et qui tournent tout les jours plutôt que de mettre l’argent dans un gros stage de formation je ne sais où. Il faut savoir pourquoi forme- t’on les gens, comment on les sélectionne ; si on va dans une ville comme Abidjan en pré-sélectionnant et formant en prise de vues, montage, prise de son, etc…, on commence à détecter les gens qui sortent.

Impliquer plus amplement les acteurs locaux plutôt que de laisser Paris décider…

C’est tout a fait ça, quand j’ai des différends avec mes amis de La Guilde, je dis chacun vit là où il veut. Je crois que j’avais au moins la possibilité aussi comme eux de vivre à Paris ; donc je dis tout simplement : vous faites un travail à Paris, c’est vrai, mais n’oubliez pas qu’il y a un gros travail à faire sur place et que ça nécessite d’être là, on ne peut pas venir en deux jours pour voir quelles sont les attentes et le potentiel sur place.

Chaque fois y’a un truc de mode. Il faut mettre l’argent dans la production, production, production, ensuite il y a eu la diffusion, diffusion, diffusion, maintenant c’est la formation, formation, on n’achève aucun projet, rien n’est solidement structuré, on passe à autre chose.
Quand je vois les gars d’Angers qui me disent " on forme des distributeurs et des exploitants au Mali, je ne sais plus, au Niger et où ". Quand tu rencontres les gens qu’ils prennent, déjà, tu ne peux plus comprendre le langage d’aujourd’hui : au moment où on va vers le numérique, il sont partis prendre tout les anciens projectionnistes qui sont pratiquement à la retraite et je leur ai dit mais "vous misez sur quoi là dedans", "vous voulez qu’ils fassent quoi ces gars là dans dix ans" ? Il faut savoir ce qu’on cherche !

Quand on me parle formation, je suis totalement là dedans mais je voudrais savoir où on va, où va l’argent et quelle est la part de financement qui retombe effectivement sur les jeunes en Afrique qui le font !

Pensez vous que plus de festivals en Afrique favoriserait la connaissance et la diffusion des cinémas d’Afrique ?

Oui et non. Oui parce que si ce n’est pas qu’un festival classique et qu’il se double comme beaucoup de festival maintenant de diffusion du cinéma, d’appui aux sociétés de distribution, d’appui à l’exploitation, tout ça oui c’est sûr parce que nos publics ont besoin d’un moment médiatisé où au départ y’a des coups de projecteur autour des projets et plus tard, on passe à la diffusion en salle, dans ce cas cela peut être utile car si ces festivals n’existaient pas y’a des régions en Afrique où on verrait jamais de films ailleurs qu’au Fespaco. Je crois qu’il faut dans chaque pays actuellement un grand festival.

Cela impliquerait plus les politiques dans la culture…

Tout a fait. Dans le cadre du festival Ecrans Noirs on a inclus un volet formation, et je me dis que si on n’avait pas eu le budget pour la formation on n’aurait pas eu de festival. Dans le projet " Ecran Noir ", le volet formation est capital là dedans, c’est une formation permanente sur 3 ans, pour les gens d’Afrique centrale avec quelques bourses par an pour l’étranger. C’est une école de cinéma avec la 1ere année, un tronc commun audiovisuel et la 2eme année, les gens se spécialisent.
On peut mobiliser les gens, les impliquer et je pense qu’on a vraiment besoin de ces festivals un peu partout en Afrique.

Benoît Tiprez

* VCD : vidéo compact disk, format de disques numériques, la vidéo est stockée sur cédérom. Support couramment utilisé dans les pays du sud.

* DVD : digital versatile disk, c’est un format numérique d’encodage sur des disques qui permet d’emmagasiner de la vidéo, du multimédia, de l’audio…

Le site d’Ecran Noir : www.ecrans-noirs.org

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