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« Les cinéastes africains ont une responsabilité d’éducation »
Publié le : dimanche 9 décembre 2012
Itw de Samouté Andrey Diarra, réalisateur des Pêcheurs de sable

Cette année, la catégorie Reflections : Panorama de la 25e édition du festival international du cinéma documentaire d’Amsterdam (IDFA), présentait un premier long-métrage documentaire, Hamou Beya, pêcheurs de sable, sur les pêcheurs bozo de sable des berges du fleuve Niger, . Présent pour l’occasion, le réalisateur malien Samouté Andrey Diarra a accordé à Clap Noir une interview.

Quel a été votre parcours et qu’est ce qui vous a mené au cinéma ?

Samouté Diarra : Le cinéma n’était pas un rêve d’enfant, j’étais plutôt lancé dans la conception d’une maison de production musicale. C’est ainsi que j’ai pu travailler sur deux clips et des films institutionnels. Pour la première fois, j’ai participé en 2006 à une résidence d’écriture organisée par le réseau Africadoc à Tombouctou au Mali. À la suite, je suis resté en contact avec ce réseau et j’ai développé mon projet de film qui s’appelait au début Le chemin du sable et qui existe aujourd’hui sous le nom Les pêcheurs de sable, en anglais : Sand Fishers. J’ai pu le développer à travers les résidences d’écritures Africadoc mais aussi grâce à la Summer School de l’IDFA en 2009.

Comment fonctionne cette Summer School ?

S.D. : C’est deux semaines de formation et de développement des différents projets. Durant ces deux semaines, j’ai pu rencontrer d’autres professionnels qui ont une certaine expérience tel que Peter Wintonick [réalisateur québécois, ndlr] et des idées sont nées. Cela m’a un peu guidé pour progresser dans l’écriture de mon film. Par la suite, j’ai fait une formation en Master 2 Production en partenariat entre l’université de Grenoble et Ardèche Images. Le but était d’entrer dans cette formation avec un projet qui, à la sortie, pourrait exister. Aujourd’hui, le film a la chance d’être sélectionné au festival international de documentaire IDFA.

Vous faites donc partie de cette minorité francophone qui fait l’effort de traduire leur projet en anglais pour le déposer à l’IDFA.

S.D. : Oui bien sûr (rires). Cela n’a pas été vraiment facile de pouvoir travailler sur le film en anglais Mais c’était important. Un film, il ne faut pas lui créer des frontières. Il faut lui donner le maximum de chances d’être vu, le maximum de public. J’ai eu la chance, durant le festival, de rencontrer des gens intéressants qui se sont intéressés au film. Je pense que ce sera un travail en plus de faire des sous-titrages dans d’autres langues parce que d’autres festivals demandent à voir le film.

L’année dernière, le réalisateur sénégalais Moussa Sene Absa et la responsable du Jan Vrijman Fund, Isabel Arrate Fernández, regrettaient la ressemblance des films Africadoc et le manque de documentaires francophones à l’IDFA. Qu’en pensez-vous ?

S.D. : L’originalité d’un film c’est la vision et la responsabilité d’un réalisateur. Quand un réalisateur veut faire un film sur un sujet qu’il veut partager avec les autres, il doit s’approprier son sujet, le maîtriser et savoir dans quelle ligne il avance. Il y a tout le temps des gens qui viennent et qui conseillent des choses qui ne sont peut-être pas en lien avec ce que tu conçois dans ta tête. Il était important que je puisse faire mon film tel que je le concevais et je suis aujourd’hui très content d’avoir atteint cet objectif.

Auriez-vous réalisé votre documentaire si vous n’aviez pas suivi de formation Africadoc ?

S.D. : Cela aurait été assez difficile parce que j’ai commencé l’audiovisuel avec des films institutionnels et je pense que si je n’avais pas eu d’accompagnement Africadoc et IDFA - qui m’a soutenu et financé pour faire des recherches sur ce film - si je n’avais pas eu ces deux chances, cela aurait été difficile de faire le film tel qu’ il est aujourd’hui. J’aurai certainement eu une vision plus institutionnelle qui ne lui aurait pas donné son aspect cinématographique.

Votre documentaire propose une vision sans illusions du quotidien d’un pêcheur de sable. Était-ce votre parti pris ?

S.D. : J’ai voulu, dans ce film, être fidèle au réel qu’il y a. Comment aujourd’hui une tierce personne qui se présente sur la berge comprendrait ce qui s’y passe ? La réussite de ce film est vraiment liée aux personnages qui nous accrochent. Gala [le principal protagoniste, ndlr], est quelqu’un avec qui je partage aujourd’hui une relation fraternelle : on n’arrête pas de s’appeler, même après le film, nous sommes resté en contact. Du coup, c’est plus qu’un film pour moi. D’abord ma peur de l’eau m’a poussé vers le sujet. Quand j’ai rencontré ces personnes, elles ont été assez disponibles pour que le film se passe comme je le voulais.

Les personnes étaient-elles faciles à filmer ?

S.D. : À mon avis, pour faire du documentaire, il faut être assez sociable, discuter avec les gens, leur faire comprendre ce qu’on fait, ce qu’on veut faire du film. C’est pour moi le premier travail qu’un réalisateur doit faire. Avec les gens, cela n’a pas été facile, surtout avec ceux sur la berge car ils sont vraiment allergiques à la caméra. Il a fallu que je parte souvent rien qu’avec un appareil photo, puis avec une petite caméra, pour les familiariser et les habituer à ma présence. Je leur disais toujours « Je vais revenir mais je ne serai pas seul ». Les premiers jours de tournage ont été difficiles parce que c’est un effectif qui change à chaque fois donc il faut toujours être dans l’information : « Je fais un film, voilà sur quoi je travaille et pourquoi je fais le film ». J’ai longtemps travaillé comme ça et les premiers jours de tournage, j’ai dû revenir sur la table des négociations avec eux mais ça a payé puisque tous ceux qui sont dans le film ont accepté d’être filmé. Voler des images par le zoom, ce n’est pas intéressant.

Qu’est ce qui les rend allergique à la caméra ?

S.D. : Certains ont honte de ce qu’ils font parce qu’ils se voient comme un résidu social et ont honte de leur travail. Moi je leur rappelais tout le temps que « sans vous, Bamako n’existerait pas. On se réjouit qu’il y ait de belles maisons, des constructions, la ville se développe mais vous êtes des pionniers de ce développement. Et sans vous, on n’irait nulle part, il n’y aurait pas de sable. Vous êtes le maillon principal de ce développement et vous devez le reconnaître et en être fiers ».

Pour vous qui avez peur de l’eau, comment s’est passé le tournage ?

S.D. : C’était un challenge. Il fallait que je me lance donc mon objectif serait atteint si j’arrivais à voyager sur le fleuve. Le premier jour de tournage n’a pas été facile, un peu crispé. Mais au fur et à mesure, j’ai compris que la peur, elle est dans la tête. Je me sentais vraiment en sécurité parce que j’étais dans une pirogue bondée de Bozos (rires) donc, si je devais tomber dans l’eau, ils sauraient me repêcher. J’avais beaucoup d’assurance et de garanties qui me permettaient d’être confiant. Et comme j’étais dans l’inspiration du film, je n’ai pas vraiment senti la peur de l’eau.

Aviez-vous des idées reçues avant de réaliser le projet qui ont été démontées durant le tournage ?

S.D. : Je suis très content d’avoir eu des personnes pleines d’expérience qui m’ont cinématographiquement guidé. Comme je le disais tout à l’heure, si je m’étais lancé en tant que vidéaste institutionnel sur ce film, je l’aurai traité autrement. Je pense que lorsqu’on construit une carrière, on a besoin d’approcher des gens qui ont déjà une certaine expérience. Le métier de cinéaste est un métier de partage et quand on partage, on apprend. Il y a donc de fortes chances qu’on puisse construire une expérience, un talent, même s’il est souvent caché.

Avez-vous montré ce film aux pêcheurs ?

S.D. : Je travaille sur un projet de projections. La berge où le film a été tourné n’est pas le seul endroit où est extrait le sable. D’autres berges existent donc je développe un projet avec ces gens pour qu’ils puissent voir le film. Je compte approcher certaines associations et organisations sur place pour solliciter une aide. De toute façon, il y a toujours cette question d’argent, il faut avoir les moyens adéquats pour le faire. Les personnes que j’approcherai m’aideront à montrer le film non seulement aux extracteurs de sable mais aussi aux Bamakois et dans d’autres villes du Mali.

Le Centre national de la cinématographie du Mali (CNCM) vous a-t-il aidé sur ce tournage ?

S.D. : Le CNCM est l’organe qui s’occupe du cinéma au Mali et j’avoue qu’il est assez disponible pour nous donner un apport industrie pour que nos films puissent se faire. Cette approche est magnifique parce que faire un film quand on a du matériel à disposition et être accompagné, c’est intéressant et ça encourage la nouvelle génération de cinéastes qu’il y a à Bamako.

Que pensez-vous de la situation malienne actuelle ? Pensez-vous que le cinéma puisse perdurer malgré les tensions ?

S.D. : Oui, la situation est déplorable, il faut le dire. Elle est déplorable parce que tout malien et toute personne attachée au Mali a mal au cœur. Je pense que les politiques trouveront les moyens nécessaires pour que la paix puisse revenir et que nous, cinéastes, pourront aller de parts et d’autres pour faire des films. J’avais un projet dans le Nord du Mali que je ne pourrai pas faire mais j’accompagne en production un autre projet qui s’appelle À quand le soleil d’une réalisatrice malienne, Awa Traoré, qui n’en est pas à son premier film [Waliden, enfant d’autrui, ndlr]. C’est un film qui pose la question de la démocratie. Elle s’y met à fond, je me mets à fond pour l’accompagner sur la production et d’autres producteurs d’autres pays sont intéressés par le sujet. En tant que cinéaste dans notre société, Je pense que des films comme ça, à chaud, sont intéressants pour que nous puissions réfléchir à là où nous allons. Les cinéastes africains, particulièrement maliens, ont vraiment une responsabilité d’éducation à travers le documentaire en ce qui concerne les conflits.

Propos recueillis à Amsterdam par Claire Diao
Novembre 2012

Lire Trois documentaristes d’Afrique francophone racontent l’IDFA

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