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Produire Nord/Sud
Publié le : vendredi 2 septembre 2011
Rencontre avec les professionnels à Lussas






Jean-François Hautin

Comment se passe le financement des coproductions franco-africaines ? Quels sont les organismes qui soutiennent ces films ? Quels avantages permet la collection Lumières d’Afrique en termes de production ?

Jean-François Hautin, La Smac (producteur de Koukan Kourcia de Sani Magori, Les déesses du stade de Delphe Kifouani...)
Pour les films de la collection Lumières d’Afrique, on sait déjà qu’il y a un diffuseur, TV Rennes 35, ce qui ouvre des financements (CNC, région, Procirep et le reste). Au Tenk à Saint Louis, sur une trentaine de projets présentés, dix projets ont été pris dans la collection. Cette année, il y en aura un peu plus car Lyon TV rejoint la collection. Ensuite, on lance les coproductions avec nos coproducteurs africains, qui ont un calendrier différent du nôtre car l’OIF (l’organisation internationale de la francophonie) ne donne qu’une commission par an. Non, c’est deux. Il faut donc attendre un an.

Sébastien Tenteng, étudiant en production au Master de Lussas (Sénégal)
Dans le contrat de coproduction que propose Lumières d’Afrique, pour toute la collection, il y a une charte qui dit que ce qui est préparation, repérage, tournage se fait en Afrique et ce qui est montage, étalonnage, post-production se fait en Europe. Il y a un partage des tâches au préalable, avec chaque partie qui va chercher les financements de son côté. L’OIF est une des principales sources de financement du côté Sud. Il y a aussi l’IDFA, Ian bridgeman (?)…

Avez-vous souffert de la disparition du Fonds Images Afrique du Ministère des Affaires Etrangères ?

Jean-François Hautin, La Smac
Enormément. C’est un gros manque de financement. Enfin, ce sont les coproducteurs africains qui demandent la Francophonie et le MAE (Ministère des affaires étrangères). Mais on fait les dossiers ici.

Dominique Garin, Vie des Hauts (producteur de Savoir raison garder, de Mamounata Nikiema)
C’est plus facile d’envoyer le dossier dans les délais depuis Paris ou Bordeaux que de Ouagadougou.

Jean-François Hautin
Il faut parler de la réduction très importante de la Francophonie. Cette année, au premier trimestre, il n’y a eu que cinq documentaires aidés. Il y aussi le soutien vers des productions de séries africaines. Bien sûr, cela crée de l’emploi, mais je me permets de dire qu’au niveau culturel et artistique, ce n’est pas le top ! Et ces projets de fiction ont absorbé presque tout l’argent du fonds.

Et CFI ? Est-ce que CFI vous achète des films, est-ce qu’ils vous arrive d’avoir avec CFI des partenariats ?

Rires...

Jean-François Hautin
CFI est en demande de films... Ils donnent 3000 euros en achat et 6000 en préachat. Une commission éditoriale est prévue à la rentrée. Ils sont intéressés par la collection Lumière d’Afrique, on va voir. Le problème, c’est qu’ils ne veulent plus de sous-titres, donc, doublage, voice over... Et ils n’augmentent pas le prix d’achat. J’ai aussi vendu, en achat (et pas en préachat), mes films à TV5. Ils sont venus tous les ans au Tenk mais ils n’ont jamais rien pris.


Sébastien Tenteng, étudiant en production (Sénégal)
Il y a un problème avec CFI et les chaînes africaines. La démarche dans laquelle nous sommes est d’encourager les chaînes africaines à acheter du documentaire, ce qu’elles n’ont pas l’habitude de faire. CFI va dans les festivals, dans les marchés, achète les films et les donne par la suite aux chaînes nationales.

Dominique Garin
Il y a un autre problème, plus subtil. Quand un producteur signe une convention avec France Télévision, une annexe au contrat donne nos droits gratuits à tous les pays africains. C’est CFI qui gère cela. CFI a un stock d’images qui fait que les chaînes africaines n’ont pas l’habitude d’acheter. Peut-être qu’au niveau syndical, on devrait faire quelque chose pour ne pas signer cette clause.

Sebastien Tenteng
Il faudrait que CFI arrête de donner les films. Cela porte préjudice aux réalisateurs africains. Tu peux avoir fait ton film au Sénégal, au Congo, au Mali, la chaîne va attendre que le film lui soit donné par CFI deux ans plus tard. Avec Africadoc, on encourage les chaînes africaines à acheter une partie en mutualisation, et que CFI achète l’autre part. Ils ont un compte national, le CEFOR (??), un catalogue où les chaînes peuvent choisir. L’avancée est que l’on encourage, au Tenk de Saint Louis, ces chaînes-là à choisir leurs propres films.


Chouna Mangondo, réalisatrice (RDC)
Il y a une maison de production sud-africaine qui achète tous les droits des films africains et qui les stocke, fiction et documentaire.

Jean-François Hautin
Il ne faut pas céder, pas sortir du documentaire de création. Le CNC joue le jeu de la création, les régions aident aussi des choses parfois moins créatives. Je cherche à ce que soit mise en place une aide à la coopération pour ces films-là, notamment en Aquitaine.

Chouna Mangondo, réalisatrice (RDC), Atelier Femis
Et ACP (Fonds Afrique Caraïbe Pacifique) ?

Dominique Garin
C’est une usine à gaz encore plus grande que l’OIF ! C’est un programme de l’Union Européenne. J’ai essayé et j’ai abandonné, c’est trop lourd.

Jean-François Hautin
C’est très administratif. On n’a pas le droit à l’erreur. S’il manque une pièce, c’est direct à la poubelle ! Cela demande des conseils juridiques, administratifs... Les petits fonds, c’est bien. Goteborg, je l’ai eu deux fois... Là, on cherche des fonds au Canada, en Suisse, dans les partenariats Nord-Sud.

A moins que la région de Bordeaux ait un passé avec l’Afrique (...), comment se fait-il que la région Aquitaine soutienne des projets qui sont faits en Afrique ?


Olivier Denisot, responsable du fonds d’aide à la Région Aquitaine
Une région, c’est comme un petit CNC, il n’y a pas toute cette complexité de liens avec l’extérieur. La région donne une subvention à un producteur, elle abonde sa part de cash dans le plan de financement du film. On aide un producteur à faire un film, quel que soit le lieu de tournage. C’est le cas dans toutes les régions. C’est ce qui permet de voir arriver des projets en coproduction avec un producteur aquitain et un producteur extra-aquitain. A partir du moment où il y a une télévision française, le projet entre dans les critères d’éligibilité pour avoir l’aide à la production. Par exemple, Bakoroman, Koukan Kourcia... Du point de vue région, nous n’avons aucune éditorialité. Une commission va juger l’aspect administratif, technique et artistique du dossier.

Le fait qu’il y ait un financement français oblige à ce que des techniciens français soient payés sur le film. Comment cela se déroule-t-il ?

Jean-François Hautin
Ce sont des règles précises, ne serait-ce qu’au niveau du CNC où il y a des points. C’est européen. Des techniciens, des apports en industrie européens.

Dominique Garin
Un film, c’est quatorze points. Un réalisateur, c’est deux points, un auteur, un point, un monteur, cadreur, ingénieur du son, c’est un point etc.

Olivier Denisot
Il y a aussi un pourcentage de dépenses françaises.

Dominique Garin
C’est au niveau du budget. On équilibre entre techniciens payés en France et techniciens africains. Il faut absolument envoyer un producteur ou un technicien européen en Afrique pour que le budget soit équilibré.

Jean-François Hautin
C’est tellement réglementé ! Je ne dirai pas que c’est de la triche, mais c’est calculé au point près. Dans les textes, les points sont attribués aux postes principaux. Quatre points doivent être attribués aux autres techniciens, c’est à dire les techniciens africains. J’ai failli me faire avoir, une fois, lors d’un tournage où l’équipe était importante. J’ai eu l’honnêteté de dire tout ce que j’avais dépensé. On avait beaucoup de techniciens africains (qu’on avait formés en plus), et au CNC, ils ont pris la calculette - comme ils disent ! - et ils m’ont enlevé quatre point. Cela s’est arrangé. Mais maintenant, je fais attention, je ne mets pas ce qu’a fait mon partenaire africain. On enlève les techniciens africains du budget français. Comme cela, on a ces quatre points, car il nous faut ces quatre points.

Sébastien Tenteng, étudiant en production (Sénégal)
Le risque, si on n’a pas ces points en tête, est de ne pas percevoir le reliquat. Le CNC ne donne pas tout en même temps. Car le versement se fait en deux fois, d’abord 70% à la signature , puis 30% à la remise des comptes.

Jean-François Hautin
Si tu n’as pas les points tu dois même rembourser l’accompte. Est-ce qu’on forme les producteurs africains à cela ? J’ai donné des formations au Togo et au Cameroun, donner tous ces petits détails qui font qu’il n’y a pas à discuter une fois que l’on est en coproduction.


Camille Plagnet
Prenons un exemple concret. Camille Plagnet, pouvez-vous décrire la coproduction de Bakoroman, de Simplice Ganou ?

Camille Plagnet, producteur et réalisateur (Bakoraman)
J’ai rencontré Simplice Ganou en 2009 au Fespaco, il m’a parlé de son projet. J’avais envie de faire un peu de production. Et je veux produire des films auxquels je crois vraiment, cela doit être capital pour moi car je ne me sens pas vraiment producteur. J’ai proposé à Simplice de produire son film. Je l’ai encourager à faire le Master de Saint Louis, avec son projet. Après, le projet est rentré dans Lumières d’Afrique, avec des conditions assez incroyables : le CNC donne presque automatiquement de l’argent. Il y a parfois de mauvaises écritures qui passent quand même au CNC. Lumières d’Afrique, le CNC fait confiance. Il y a des gens qui ont du mal à écrire mais qui peuvent faire tout de même de beaux films. L’écriture n’est jamais vraiment financée... Il avait écrit son premier dossier avec sa copine, qui était anthropologue. On l’a retravaillé. Le dossier était de très bonne qualité. J’ai proposé à un ami burkinabé, qui a été cadreur sur le film, Michel Zongo, qui venait de monter sa boîte de production. Jupiter, son compère, a fait le son. L’amitié facilite tout. Cela se passe de manière simple, franche, naturelle. L’équipe technique est burkinabée, mais la post-production est faite en France. C’est comme cela que les choses sont pensées à Lumières d’Afrique. C’est logique, c’est normal que le CNC demande cela. Ce qui est marqué dans la charte de coproduction équitable de Lumières d’Afrique, c’est de prendre des stagiaires africains. Mais cela, on ne parvient pas à le faire. Le principe est un volontarisme de fou. Former, faire émerger des films, des équipes, des familles et le documentaire africain va prendre de l’importance. Je pense qu’il y a encore un faible sur la formation des techniciens.

Quel est le point de vue d’une réalisatrice africaine sur ce fonctionnement ?

Chouna Mangondo, réalisatrice (RDC)
Quelqu’un qui vient vendre le film va imposer son regard extérieur : cela dérange, des fois. Je parle de la coproduction Nord-Sud. On craint, pendant l’écriture ou le montage, que le film ne soit plus le vôtre parce qu’on vous impose certaines choses. On veut porter notre propre regard, notre propre point de vue. Il y a la question du formatage. Arte m’impose ceci… Du coup, on est coincé. On est contraint de subir tout cela parce qu’on a pas d’argent. La télévision congolaise reçoit les films gratuitement, ils ne voudront jamais acheter !...

Propos recueillis par Caroline pochon

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