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Après l’océan
Publié le : lundi 6 juillet 2009
Un film dans l’ère du temps





Voilà un film sur l’immigration qui s’inscrit dans l’ère du temps et qui sort sur les écrans français à un moment terrible. Terrible parce que des centaines de travailleurs salariés sans-papiers africains attendent sur un trottoir parisien leur régularisation. Après In this world de Michael Winterbottom (UK, 2003) et Welcome de Philippe Lioret (France, 2008) qui retracent les voyages menant de jeunes immigrés à la « Terre promise », Après l’océan fait le choix d’aborder la question du retour.

Le retour au pays, c’est ce que les deux héros du film, Otho et Shad, attendent et appréhendent. Otho (Djédjé Apali), ivoirien, tente de mener sa barque tant bien que mal dans une Europe où le travail est précarisé. Shad (Fraser James, déjà repéré dans le magnifique Sometimes in April de Raoul Peck), libérian, vit de petites magouilles pour pouvoir subvenir aux besoins de sa fiancée, la belle Pélagie (Tella Kpomahou) qui l’attend à Abidjan. Mais pour ces deux « guerriers » des temps modernes, le combat ne sera pas le même. L’un, innocent, sera renvoyé au pays les poches vides tandis que l’autre, coupable, tentera tant bien que mal de gagner sa vie pour aider ses proches restés en Côte d’Ivoire.

D’Alméria à Séville, Londres et Paris, la longue lutte des travailleurs immigrés se décline par de multiples petits boulots : travailleur à la chaîne dans une usine espagnole, aide-cuisinier dans un restaurant anglais, rabatteur pour un salon de coiffure afro français... La condition des sans-papiers en Europe n’est pas facile et Eliane de Latour, documentariste et réalisatrice de fiction, a décidé de la montrer. Dans ce monde violent fait de peur et d’humiliations, les travailleurs n’ont le choix que de se plier aux règles imposées ou de tout plaquer. Accepter les remarques désobligeantes des employeurs, les pressions des collègues jaloux, les menaces des concurrents est une lutte au quotidien. Et lorsque l’on se refuse à tomber dans les filets de voyous comme Tetanos, habilement interprété par Lucien Jean-Baptiste, on n’a le choix que de se battre seul contre tous, ou de rencontrer une âme esseulée, blanche et homosexuelle, en la personne de Tango (Marie-Josée Croze).

En tournant son film au Nord et au Sud de l’hémisphère, Eliane de Latour retrace plusieurs vies, plusieurs rencontres, plusieurs couples. Par le contraste de multiples personnages bons ou méchants, Après l’océan montre les conséquences de l’immigration des deux côtés de l’Atlantique. Pour les gens d’Europe, la peur de l’étranger et la menace du nouvel arrivant expliquent le rejet de cet Autre venu d’ailleurs. Pour les gens d’Afrique, gouailleurs, parlant dans un français d’Abidjan – le nushi – non loin de celui de la bande-dessinée Aya de Yopougon, ce fameux Autre ne peut être accepté que s’il revient les poches pleines et habillé « origigi » ; original d’Europe.

De ces deux amis presque frères, on retiendra l’obstination d’Otho à prôner une Afrique fière de ses valeurs tandis que Shad se pliera à l’idéal capitaliste espéré par les autres. Autres que le très beau Baudelaire (Toupé Loué), quasi muet dans le film, représente à merveille. Assis face à la mer, écoutant les exploits de Shad dans un vieux baladeur, il attend son tour pour se lancer dans cet exil qui fait tant rêver. Peu importe que son ami Otho soit revenu pauvre et humilié au point de détourner l’argent envoyé par son ami à sa propre sœur, en Europe c’est « chacun dans son chacun ». La destinée des uns n’a donc pas d’influence sur celle des autres, il faut y aller soi-même pour tenter sa chance.

Après l’océan veut traiter à égalité Noirs et Blancs pour montrer les qualités et les défauts des deux côtés de l’océan. Cependant, l’accumulation de clichés – comme la scène d’amour entre Otho et une expatriée blanche – ne trouve pas toujours son utilité dans le récit. L’histoire d’amour entre Tango et Olga, quoique symbolique, ne fait que détourner l’histoire de ses enjeux principaux. Car au lieu de laisser aller les personnages à une naturelle sincérité, le scénario semble dicter des répliques rédigées aux acteurs. Le franc-parler abidjanais du film en dit souvent trop par rapport aux images alors que les séquences silencieuses – lors du mariage de Shad - sont plus évocatrices et sincères. Malgré tout, le film est servi par un casting remarquable et une musique de qualité. Et si la cinématographie de Renaud Chassaing nous laisse rêveurs, on ne peut qu’encourager les cinéastes des deux côtés de l’océan à donner de beaux rôles aux acteurs qui le méritent.

Claire Diao

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