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Rencontre avec un poète filmeur
Publié le : dimanche 6 septembre 2009
Mamadou Sellou Diallo

Réalisateur de La gardienne des étoiles




Quelques mots sur le parcours ?

J’ai fait des études de lettres et d’art dramatique. J’ai été prof de lettres et j’ai fait beaucoup de théatre d’intervention sociale. C’est comme cela que j’ai découvert le cinéma documentaire. J’ai rencontré Jean-Marie Barbe à Dakar et j’ai participé au Master de documentaire de Lussas, à Grenoble en 2002-2003. Mon premier film était une rencontre avec des aveugles, pour montrer comment ils se représentaient dans la société. En 2004, avec Gora Seck, nous avons mis en place une société de production, les films de l’atelier, qui nous ont permis de produire nos oeuvres et celles de plus en plus d’auteurs liés à Africadoc.

Pour qui on fait des films ?

Faire des films, qui nous parlent, qui parlent notre langue et qui parlent aux gens pour qui on les fait. C’est très universel, le cinéma. La difficulté pour les cinéastes africains, c’est de se dire que les films ne sont pas faits uniquement pour les gens d’ici (les moyens de de production et de diffusion sont ici, on a envie de se faire comprendre ici), mais ces films sont aussi fait pour se faire comprendre là d’où on vient. C’est un double jeu assez équilibriste, mais il faut le réussir, car le cinéma peut être un langage universel.

Quelques mots sur la forme ?

Verlaine, c’est quelques mots. Senghor, c’est deux vers. Lucien Georges, c’est mon maître. C’est vrai que j’ai voulu une voix off. Ce sont des mots-images. La voix off est aussi essentielle que l’image. Pour filmer l’intime, on le fait en faisant soi-même le cadre.

Pourquoi le gros plan ? D’où vient l’esthétique du film ?

Il y a cette envie que j’ai de m’approcher des gens toujours. Mon contexte social, ce qui me nourrit, faire que ce cinéma me rapproche des miens, qu’on se touche et qu’on se parle autrement, qu’on découvre des choses ensemble à travers le cinéma. C’est un dialogue constant. Du coup, mes cadres et mes plans passent aussi par cette proximité.

Est-ce un poème filmé ?

Je le veux comme un poème. Si le public le sent comme cela et me le renvoie comme cela, je serai très heureux. C’est un poème d’amour aux femmes de ma vie, ma femme, ma mère, ma fille, qui a deux ans et demi, que je veux voir grandir, l’accompagner.

Parfois, on est tellement près de la peau, de la chair que l’on est presque dans l’abstraction, d’où vient cette esthétique ?

Je n’ai pas de parcours d’art plastique. C’est plutôt cette envie que j’ai de m’approcher tellement près des gens que l’on puisse se voir respirer, que l’on puisse se toucher, se parler, se dire les choses, même graves et sensibles. Dans mon cadre, il y a l’idée même que le cadre peut échapper, tomber sur des abstractions, sur des flous, en très gros plan au point que l’on ne reconnaît même plus l’objet mais où l’on reste parce que c’est tellement fort. C’est ce dialogue avec le corps, le sensible, avec cette respiration du corps qui m’intéresse. Dans ce film, c’est ce que j’ai essayé de capter. Ce n’est même pas calculé parfois. Je suis tellement près des gens que j’entre en eux.

Il y a une fascination pour la peau.

Absolument. Je suis très épidermique. Parce que la beauté, la souffrance, tout ce qui est dit, passe par la peau. A la fin du poème, je dis à ma fille : "tu me diras peut-être et je me demande encore, pourquoi ta poupée n’est pas noire". Cela renvoie encore à cette peau. Tout passe par la peau, ce qu’elle a ressenti, ce qu’elle garde comme traces de la vie, du bonheur, de la souffrance du monde, des amours qu’on a traversés et tout. C’est quelque chose qui me fascine. Si cela se voit dans mes cadres, c’est cette fascination intérieure, qui n’est pas calculée ou écrite, cette recherche intérieure qui me guide.

Ta fascination n’est pas qu’esthétique. Tu montres comment elle vit à travers le massage, différentes circonstances de vie...

Que les gens se rapprochent de ces sensations là. C’est presque tabou de montrer cette nudité dans ma société. J’ai essayé de concentrer l’attention sur cette peau et ce qu’elle a ressenti en termes de souffrance, de vécu pour que le regard des gens puissent s’ouvrir à cela, au point que les gens ne voient pas la nudité, mais ce que cela renferme, comme histoire du corps.

Est-ce que tu penses qu’un public sénégalais va accéder à ta démarche et la comprendre ou bien est-ce que tu as peur de choquer ?

Je n’ai pas peur de choquer. Je pense qu’ils vont comprendre. J’ai montré les vingt premières minutes et j’ai été sensible au fait que les femmes m’ont renvoyé des choses très positives, sur le corps, la manière dont le regard se pose sur le corps, les traces de la vie, la souffrance.

En tant qu’homme, as-tu dû franchir des tabous pour filmer le corps féminin ?

Oui, filmer ma femme en train de se faire masser, cela peut être une effraction, parce qu’en principe, je ne suis pas admis là-dedans ! Mais le rapport amoureux entre elle et moi me donne la permission de la filmer d’aussi près. Pour l’autre femme, qui a des traces de la maternité sur le ventre, c’est une grande amie qui a dit : "si tu veux, je te montre". Les gens n’ont pas idée de la souffrance du corps de la femme.

Tu ne montres pas beaucoup les visages, si ce n’est celui de ta mère.

C’est un parti-pris formel, parce que c’est de la nudité que l’on filme, pas de manière crue. Je voulais montrer la construction du corps féminin, ce ne sont pas des visages qui le porte. C’est sur le corps de toutes les femmes, en fait. Cela fait partie de l’odyssée de la femme en générale. Mais c’est ici sur les miens, les femmes qui me sont proches.

Est-ce qu’il y a un érotisme dans tout cela ?

Oui, il y a forcément un érotisme. Avec ma femme, être capable d’en jouir encore, de dire que c’est la femme, de dire que son corps est plus beau, c’est une manière aussi de lui faire l’amour, de l’aimer. Si ce n’est pas de l’érotisme !

La caméra, comme jeu érotique...

Absolument. Un ami m’a dit : "tiens, je vais faire un quatrième enfant, je n’ai jamais regardé ma femme de cette manière." Et j’ai trouvé cela très beau. Si cela sert à cela aussi, c’est bien.

Et d’autres projets ?

Je prépare un long métrage dans lequel je m’ouvre beaucoup plus à d’autres femmes, sur la souffrance du corps dans les travaux domestiques, dans la maternité, dans la construction du corps féminin, dans une galerie de portraits de femmes.

Propos recueillis par Caroline Pochon

  • Le 22 septembre 2009 à 13:16

    Aborder la question de l’esthétique cinématographique à partir du corps comme modalité discusive est une heureuse initiative. Lorsqu’on parle du coprs au cinéma, au théâtre, en littérature, en peinture ou autre les gens sont prompts à faire de l’anthropologie à deux sous, ils oublient ce qui est essentiel pour l’art et pour l’artiste : parce qu’il est d’abord en lui_même une anthropologie, le corps explicite nos institutions et la façon de les vivre et de les faire vivre.
    En cela le Cinéma de Sellou Diallo rejoint la problématique du coprs comme biotexte et son regard participe de ce renouvellement des enjeux artistiques, loin du voyeurisme.
    Nous souhaitons à notre ami la force de persister !

    Dr. Kalidou SY
    Université Cheikh Anta Diop de Dakar

  • Le 24 septembre 2009 à 12:26

    Parole de semi-connaisseur, d’homme de lettres raté :
    Grande fierté. Mais il en est juste aux starting block.Il s’agit d’une course de fonds et il le sait.La réussite est au bout de la grande avenue du cinéma... africain ? Non ! du cinéma.
    Passion, engagement, détermination au service d’un talent sûr...c’est tout ce que je savais et ne sais plus. Quand l’oncle ne voit plus le neveu...
    Tonton.

  • Le 28 septembre 2009 à 15:30, par "La bouche de l’Afrique"

    salut Selow bravo et bon vent tu fais du bien au monde.

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