Avec sa casquette de mineur et ses lunettes de soleil, Nadia El Fani vient secouer les bonnes mœurs de la Tunisie devenue de plus en plus conservatrice et bigote sous Ben Ali. Et elle tombe bien, Ben Ali est parti quelques mois après le début du tournage de son film pendant le Ramadan en 2010.
Militante fervente de la laïcité, entourée de femmes luttant passionnément, féministe dans un pays qui a renoué avec le voile, Nadia la trublionne vient filmer les gens qui mangent dans un snack à Tunis en plein Ramadan et se fait rembarrer. Se prend le bec avec un serveur de restaurant qui ne sait pas bien si elle est Française - et dans ce cas, pas de problème pour lui servir un steack-frites - ou Tunisienne - et dans ce cas, elle est supposée jeûner. Et comme Nadia passe agilement du français à l’arabe... trouble dans le genre culturel ! Nadia raconte son père. Athée mais respectueux de l’Islam et sa mère, chrétienne. Son enfance dans une Tunisie libérale, ouverte et tolérante, dans les années Bourguiba, dont elle nous livre quelques images nostalgiques. Mini-jupes et vitellone !
Impertinente, iconoclaste, un peu comme l’avait fait Nanni Moretti avec le Pape, les catholiques et la politique (mais pas encore le génie du grand maître - ça va venir inch’Allah), Nadia s’implique, se passionne, répond, gueule, râle, s’exhibe, plaide, agace même parfois, provoque – à mort ! - et aussi, rigole. Elle interroge des Musulmans qui ne font pas le Ramadan, des vendeurs de bière ; organise un « pique-nique de protestation » sur la plage... (qui ne déclenche, hélas, pas de déploiement des forces de l’ordre). Participe à des meetings, débat avec des copines, argumente encore et encore. Et dans sa voix off pleine d’humour, sur fond d’un raga tunisien assez subversif, elle étrille, assassine, dit ce et ceux qu’elle aime. Ou n’aime pas.
Les intégristes « Entre eux et moi, c’est la guerre ». Après la première projection du film à Tunis, le 26 avril, en présence de centaines de personnes, une page Facebook appelle à son assassinat ! A la deuxième projection, un groupe de salafistes force le cinéma en proférant des menaces. La police intervient. « Le film a été projeté quand même ». Elle est soutenue par Ni Putes Ni Soumises et la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH). Espérons que l’universalité de son propos ne soit pas desservi par la tournure des choses. Nul n’est prophète en son pays, dit le proverbe. "Est-ce que le film sera visible sur Internet ?" questionne une tunisienne lors de la première du film à l’hôtel de ville de Paris. "S’il faut, on le piratera ! - n’est-ce pas, David ?" sourit la réalisatrice a son producteur, David Kodsi (Kien productions).
L’Histoire a donné raison à son combat, Nadia a partagé l’élan, de la révolution même si elle n’est pas le sujet même du film. Les images de la révolution ouvrent le récit, mais le film, comme le dit la réalisatrice, a été essentiellement tourné avant. Elle dit en voix off : « Et c’est comme si cette dictature n’avait existé que pour enfanter ce moment. »
Mais de quoi l’avenir sera-t-il fait ? Les mouvements intégristes ont du succès dans les quartiers populaires, lui explique une jeune femme interviewée sur un trottoir de Tunis.
Une réflexion profonde sur l’avenir de la Tunisie, une véritable rencontre avec la diversité de ceux qui composent sa société civile est un film qui reste à faire. La parole n’est pas donnée jusqu’au bout à ceux qui pensent autrement. D’aucuns reprocheront à la "française d’origine" de venir donner une leçon de laïcité au peuple tunisien, voire de servir un propos politique Nord/Sud qui lui échappe. Nadia dit ce qu’elle pense, avec courage et sincérité, sans cacher ce qu’elle est. Pour un public français, la laïcité va de soi. Que pensent les publics dans le monde arabe, en Afrique ?
Nadia El Fani a lancé le débat. Redevenue parisienne, elle donne son énergie à la lutte pour une Tunisie laïque, ouverte, qui n’oblige pas tous ses citoyens à pratiquer le Ramadan. « On n’a pas à rappeler qu’on est musulman en Tunisie, ce serait comme déclarer que la mer est bleue ».
Caroline Pochon
Clap Noir
Association Clap Noir
18, rue de Vincennes
93100 Montreuil - France