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Entre lettre d’amour en Mauritanie et réquisitoire contre l’esclavage
Publié le : samedi 11 février 2012
La Blessure de l’esclavage

Un jeune homme écrit une lettre à une fille qu’il a aimée, il y a longtemps, au pays. « Je sais que tu es mariée... » La blessure est toujours là, comme le besoin d’expliquer, de s’expliquer pourquoi cet amour était impossible.
C’est son histoire que raconte Ousmane Diagana, et elle nous touche d’autant plus. Il y a huit ans, parti en vacances dans le village de sa mère en Mauritanie, il tombe amoureux de Maïmouna. Les sentiments des deux adolescents se développent sous l’œil des villageois, croisements furtifs, visites rapides, promenades sous surveillance.
Mamadou est issu d’une famille noble et maraboutique de la tribu soninké, Maïmouna est la fille des esclaves de ses grands parents. Elle sait que cet amour est impossible, lui essaie d’oublier le poids de la tradition.

Pour revivre ses amours malheureuses en les replaçant dans leur contexte, Ousmane Diagana n’a pas choisi la facilité : il convoque en cours de récit, plusieurs protagonistes qui, tels un chœur antique, commentent, témoignent et analysent la situation actuelle du pays vis à vis de l’esclavage.
Le réalisateur lui-même intervient en voix off : « Je veux saisir, comprendre cette société mauritanienne, pour réparer...Aller à la rencontre de ceux qui souffrent, subissent cette discrimination... »
Comme si, des années après cet échec, il avait besoin, pour comprendre, de se regarder agir et de se faire expliquer par des plus sages que lui.
Et tandis que nous suivons la naissance d’un sentiment au village où les ombres sont rares et claires, où la brise agite les étoffes mises à sécher, où les femmes longilignes et discrètes , en perpétuel mouvement entre corvées d’eau, de feu, de couture, de cuisine, semblent ne pas s’appartenir, nous glanons un faisceau de réponses de la bouche d’un ancien, d’un esclave en fuite, d’un imam, d’un journaliste et d’une sociologue, tous autochtones.

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Ousmane Diagana, à travers ses intervenants, fait le procès de l’esclavage. Dans tout le pays, règne encore une société très hiérarchisée, très conservatrice et archaïque, dominée par le système des castes, où les nobles se considèrent comme les représentants de Dieu sur terre. Antérieure à l’arrivée de l’Islam. « Nous ne savions pas que nous étions esclaves, ce sont les gens qui nous ont recueillis qui nous l’ont appris, nous étions battus... » raconte celui qui s’est enfui. « Et ceux que l’on affranchit sont les premiers à perpétuer l’esclavage... » dit le sage. « Ce n’est pas l’esclavage, qu’il faut abolir, c’est la noblesse.. » ajoute le journalisme. « C’est à l’état d’imposer l’application de trois lois toujours bafouées... » déclare la sociologue.
Alors que Mamadou continue à courtiser Maïmouna, il semble ignorer que lorsque lui et ses cousins viennent lui rendre visite, elle sert le thé avec déférence. Une scène révélatrice : les deux amoureux sont près de la rivière, ils ne se touchent pas, soudain le garçon se met à l’eau et la fille...prend son tee shirt et le lave.
Dans cette société où le mariage ne se fait qu’entre individus de même caste, le maître, qui a le droit de cuissage, peut interdire une union qui lui déplaît. Leur amour était condamné d’avance, Maïmouna l’a toujours su . Elle connaît sa condition, et lui, découvre les limites de sa propre liberté . « Nous avons manqué de courage pour affronter la société » dira-t-il.

Entre lettre d’amour en Mauritanie et réquisitoire contre l’esclavage, Ousmane Diagana nous livre un film vibrant et bien construit. Cette « blessure » là, nous plonge dans un monde d’ocre fragile et secret, que la caméra nous révèle par petites touches attentives, comme un amoureux parle de sa bien aimée.
Le jeune réalisateur passé par les ateliers d’Africadoc a certainement, imprimées au fond de sa prunelle, les images d’un autre mauritanien, le grand Abderrahmane Sissako de Heremakono. Son film a d’ailleurs remporté, devant un public conquis, le prix du documentaire international à la dernière SENAF.

Michèle Solle
8 février 2012

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