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Politique, société et révolution
Publié le : jeudi 1er décembre 2011
Retour sur les films de l’IDFA 2011

8 films africains sur 434 films sélectionnés. Tel est le triste constat de cette 24e édition du festival international de films documentaires d’Amsterdam. Mais sur la quantité prime la qualité et c’est en cela que la sélection africaine 2011 est de haut niveau. Le documentaire s’attaquant toujours à des faits de société, politiques ou citoyens, l’écriture cinématographique documentaire de cette année reflète les modèles et les aspirations à la fois personnelles et populaires de tout un continent.

Mama Africa

« Je ne parle pas de politique, je parle de vérités » scandait Miriam Makeba. Exilée d’Afrique du Sud en 1959, à nouveau boycottée en 1963 suite à son intervention aux Nations Unies puis déprogrammée de toutes les salles de concerts américaines suite à son mariage avec le leader des Black Panthers, Stokely Carmichael, la chanteuse sud-africaine trouva refuge en Guinée où Sékou Touré l’accueillait à bras ouverts.

Revendiquant une Afrique fière et indépendante, elle finançait les études de jeunes africains et se battait pour la cause des peuples alors même que ses amis présidents étaient remplacés l’un après l’autre par des gouvernants plus liés aux intérêts de l’Occident qu’à ceux des populations.

Nourri par de riches archives internationales et des extraits de concerts, le documentaire Mama Africa du finlandais Mika Kaurismäki, co-produit par l’Afrique du Sud, est un flambant hommage aux engagements de ce modèle panafricain d’indépendance et de liberté.

Robert Mugabe... What Happened

Modèle aussi, le jeune Robert Mugabe l’était dans les années 1960 lorsqu’il accompagna le parti de Joshua Nkomo à remplir les fonctions de premier gouvernement indépendant du Zimbabwe. Bien éduqué, beau parleur, défendeur de la majorité noire privée des terres détenues par la minorité blanche, cet homme était prophète en son pays.

Retraçant toute la carrière politique de Mugabe, le réalisateur Simon Bright – qui a connu la prison en 2004 – explique : « L’Ouest a toujours aimé diaboliser les dictateurs africains mais le film est plus complexe. Pour toutes les personnes interrogées, la question demeure : comment discipliner un père, un héros ? »

Alternant images d’archives, discours politiques et interviews de personnalités proches, Robert Mugabe... What Happened est une brillante analyse de la difficulté à destituer celui qui a été, pour tout un peuple, le symbole de l’indépendance et l’incompréhension qui règne autour de sa soif de pouvoir meurtrière.

Aspirations populaires

Les électeurs sont cette année les grands déçus du continent. Car à défaut de faire entendre leurs voix par la force des urnes, c’est par leur mobilisation que les citoyens tendent à faire changer les choses.

Dans le décevant Excursions in the Dark de l’égyptien Kaya Behkalam, le réalisateur tente de retranscrire les aspirations d’un peuple au travers de leurs rêves. Si les longs plans séquences noirs et blancs des rues vides et silencieuses du Caire apportent un traitement intéressant à ce film expérimental, on regrette que les propos des égyptiens ne soient repris que par la seule voix du narrateur.

Tahrir 2011

Beaucoup plus percutant et encourageant quant à la production à venir de films sur la révolution, Tahrir 2011 d’Ayten Amin, Tamer Ezzat et Amr Salama retrace avec brio la montée populaire égyptienne.

En partageant leur travail selon trois axes cohérents, les réalisateurs dépeignent en 90 minutes toute la complexité de la révolution cairoise. S’appuyant sur les témoignages des acteurs de la manifestation (photographe, militante, habitants), la première partie nous explique comment l’union fit la force place Tahrir.

La seconde partie, basée sur les témoignages de forces de l’ordre à visage caché ou découvert, interroge le positionnement de la police par rapport à la population réprimée. A celui qui prône la défense de la nation répondent les interrogations de celui qui remet en cause son rôle face à ses pairs.

Animée tel un spot publicitaire humoristique, la troisième partie, centrée sur le président Hosni Moubarak, questionne pour sa part ce qui pousse un homme politique à devenir dictateur. Déjà sélectionné à la Mostra de Venise et Toronto, Tahrir 2011 est un brillant témoignage collectif d’un soulèvement populaire déjà entré dans l’Histoire.

Yoole, Le sacrifice

Tout aussi fort, Yoole, Le sacrifice de Moussa Sene Absa – seul film francophone de la sélection africaine - témoigne des déceptions de la jeunesse sénégalaise condamnée à l’exil. S’appuyant sur un fait divers qui marqua La Barbade, ancienne terre d’accueil d’esclaves africains, le réalisateur alterne entre les discours politiques prometteurs d’Abdoulaye Wade et le ressentiment massif des candidats à l’émigration.

Plus qu’un discours local sur les raisons qui poussent les jeunes à fuir vers l’Europe, le film replace surtout cette situation dramatique dans un contexte mondial en témoignant du choc que les barbadiens, pourtant éloignés de l’Afrique, ont vécu face à la découverte de 11 corps sénégalais dans une barque échouée sur la côte.

Aspirations personnelles

Choix personnel en même temps que générationnel, l’immigration est souvent abordée par ces doubles aspects dans le cinéma documentaire comme en ont témoigné Kal Touré (Victimes de nos richesses) ou Éléonore Yaméogo (Paris mon paradis). Dépasser l’aspect générationnel pour toucher aux aspirations personnelles était aussi le choix de plusieurs réalisateurs présents à l’IDFA cette année.

King Naki and the Hundering Hooves

Dans King Naki and the Hundering Hooves, le sud-africain Tim Wege défriche un milieu méconnu de la pointe de l’Afrique : celui des courses hippiques. En s’attachant à suivre un jeune noir du KwaZulu-Natal, Mister Naki, le réalisateur renseigne comment, d’une condition familiale prédestinée (travailler dans une écurie), un jeune homme renverse la donne en investissant ses économies dans un cheval pour devenir jockey.

Servi par de majestueux paysages et une splendide cinématographie, King Naki and the Hundering Hooves déçoit cependant par son manque d’introspection quant aux conditions de vie du héros qui habite dans une hutte avec une famille traditionnelle désargentée friande de bière. Argumentant qu’il lui était difficile d’accéder à cette société patriarcale, le réalisateur se dédouane de toute analyse socio-économique pour suivre les compétitions et la persévérance de son personnage au détriment du contexte qui font de lui un être à part.

Forerunners

A part aussi sont les personnages de Forerunners de l’anglais Simon Wood qui vit en Afrique du Sud depuis dix ans.

Élevés dans des townships dont ils ont pu s’exiler, ces jeunes hommes et femmes reflètent la nouvelle classe moyenne noire d’Afrique du Sud. Heureux du confort qu’ils ont pu acquérir (« Quand j’étais petit, je regardais les avions voler et je demandais à mon père : qui voyage là-dedans ? - Des gens importants, répondait mon père. Je le savais, un jour je serai l’un d’entre eux » témoigne Martin), ils sont tout aussi gênés par le poids de la tradition.

Si le point de vue de l’entourage fait quelque peu défaut, le témoignage individuel est cependant percutant. Car la complexité de cette réussite gênée est le moteur de ce documentaire.

El gusto

La réussite des musiciens d’El gusto de Safinez Bousbia, c’est la guerre d’indépendance d’Algérie qui l’a disséminée. Partant du témoignage de Mohamed Ferkioui, diplômé du conservatoire d’Alger en 1956, la jeune femme retrace toute l’histoire de la musique chaâbi née dans la Casbah d’Alger pour enfin retrouver les élèves d’El Anka, grand musicien algérien.

De Marseille à Paris en passant par Alger, ces vieux messieurs racontent leur histoire et celle de leur patrie pour expliquer la raison de leur séparation. Plusieurs documentaires - sur le Buena Vista Social Club ou les Benda Bilili – ont permis de réunir sur scène des musiciens. El gusto, inscrit dans cette veine, y ajoute une touche de plus. Mêler l’histoire individuelle à l’Histoire d’une nation et permettre la renaissance, quarante ans plus tard, d’une musique chargée de fierté et d’émotion.

Claire Diao
30 novembre 2011

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