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Qui être, lorsque l’on a rien ?
Publié le : mercredi 21 avril 2010
La Chine est encore loin


Documentaire de Malek Bensmaïl





Le « être et avoir » de Nicolas Philibert fut une référence, à la fois comme documentaire sur grand écran à succès et comme regard sur la société : une classe unique en milieu rural, en France. Des enfants que l’on suivait dans leur apprentissage, à qui on s’attachait. Un instituteur, héros documentaire s’il en fut… Un brin de nostalgie républicaine et le tour était joué. Ici, tout et rien à voir. Ce n’est pas la classe unique, ce sont des enfants qui vont à l’école en français et aussi à l’école coranique. Ce n’est pas la France, c’est l’Algérie. Une Algérie profonde, pauvre et austère. Un village au milieu d’un décor somptueux, mais vide. La référence à l’école française est pourtant bien présente : il y a les pupitres, les rituels scolaires, le tableau noir sur lequel on écrit à la craie des mots chargés de sens. « Nationalité » ; « Musulman »… Ici, on ne cède pas à la facilité d’une dramaturgie : on ne prend pas le temps de scénariser le récit, de rendre attachants des personnages, que ce soit d’enseignants ou d’enfants. On les observe avec une certaine distance pleine de scepticisme, d’interrogations, de tendresse aussi. Ici, on voit des enfants ignorant presque tout du passé politique de leur pays et endoctrinés par l’histoire officielle. Les comptes ne sont pas réglés, notamment envers la France. La présence des moudjahidin dans le film renforce le poids de ce passé douloureux. La violence n’est pas loin (un enfant rêve qu’il manie une « kalach »…).
Qui être, lorsque l’on a rien ? Ce pourrait être le titre du film de Malek Besmail, en pied de nez à Nicolas Philibert. La Chine est encore loin est un titre qui fait allusion à un proverbe selon lequel il faut aller chercher le savoir jusqu’en Chine s’il le faut. Et il semble bien que l’on soit loin du compte…

Le village où tourne le réalisateur algérien est perdu dans un pays magnifique, isolé, et pauvre. Lors d’un très beau plan sur ce décor somptueux mais solitaire, on aperçoit un coin de ciel bleu pointant son nez au milieu de nuages sombres. Eh bien ! C’est un peu le sentiment qui se dégage du film. Ce ciel bleu qui pointe au milieu d’un ciel bas et lourd, ce n’est pas tant le militantisme des instituteurs – courageux et sympathiques -, pas non plus le parallèle établi entre ce présent difficile et l’assassinat de l’instituteur français en 1954 raconté par ses anciens élèves (rupture et continuité ?), derrière quoi l’on sent le réalisateur, qui ébauche une réflexion désenchantée sur la politique scolaire en Algérie et un constat plutôt sombre sur cette jeunesse algérienne rurale ; c’est plutôt la beauté des visages enfantins que capte la caméra, qui se laisse fasciner par un jeu de regard, un plissement d’yeux, un sourire en coin qui transcendent tout propos politique. Il n’y a pas beaucoup d’avenir. La plupart des petites filles portent déjà le voile et se taisent. Certaines n’ont pas eu le droit de faire l’excursion. Un garçon non plus, parce que ses parents n’avaient pas les moyens… Les pères sont durs, l’éducation est rude.
Malek Bensmail porte un regard presque pasolinien – en tout bien tout honneur – sur ces enfants, un regard émerveillé par la fraîcheur, la beauté de leur gestes, de leurs éclats de rire, alors qu’ils partent au bord de la mer et se baignent dans l’eau, à côté d’une immense épave. La symbolique est forte. Ce qui passe, c’est un regard ému. Le réalisateur dédie son film à ses enfants. En tout cas, il a aimé filmer des enfants.

Caroline Pochon

Fiche du film

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