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Rencontre avec Namir Abdeh Messeeh
Publié le : vendredi 31 août 2012
La Vierge, les Coptes et moi




Je est un autre
et c’est rigolo

La Vierge, les Coptes et moi, est-ce de l’autofiction ? Y a-t-il au départ le désir de livrer un récit personnel et intimiste, ou bien est-on dans une forme narrative qui utilise le « je », une forme comme une autre ?

Mon producteur m’a assez rapidement dit que la quête personnelle ne devait pas être le sujet apparent de mon film. « Même si tu recherches tes racines, un sujet présenté tel quel est invendable. Le film doit plutôt être présenté comme un point de vue, par exemple, celui d’un homme dont la mère a vu la vierge et qui part enquêter... » En effet, les choses intimes n’ont pas forcément à être traitées de manière directe, frontale.

A Lussas, pourtant, on voit beaucoup de films d’autofiction, qui dévoilent ouvertement l’intimité, notamment par le recours à la voix off et l’affirmation d’une forte subjectivité...

Et c’est une forme qui semble à la mode, ne serait-ce que dans l’intitulé. J’ai rencontré une réalisatrice qui préparait un film s’appelant « Khomeiny, Sade et moi », le comique Daniel Prévost a aussi fait un spectacle qui s’appelle « Franco, l’Espagne et moi »...

Et ici, à Lussas, il y a aussi un film de Gentille M.Assih qui s’appelle « le rite, la folle et moi » !

Mais mon producteur, lui, avait pour référence Fenêtre sur cour d’Hitchcock. C’est l’histoire d’un mec qui assiste à un meurtre et il y a du suspense autour de ce meurtre. Alors qu’au fond, c’est l’histoire d’un couple. Mais Hitchcock invente des prétextes de meurtre, toute une dramaturgie pour intégrer cette histoire de couple dans un récit haletant. Alors, sur la Vierge, les coptes et moi, j’ai choisi un axe narratif ludique pour raconter une histoire personnelle. Mais je n’ai pas l’impression que le film soit sur moi. Mon personnage est le prétexte au voyage du film. Il est un prétexte pour parler de l’Egypte, des chrétiens, de la croyance. Dans le film, il n’y a qu’une scène qui parle véritablement de mon histoire personnelle, c’est la scène avec ma grand-mère, à propos de mon enfance.

Le « je » est une forme narrative parmi d’autres ? Cela pose la question de l’individualisme, qui préside la manière de penser occidentale depuis Descartes...

En Afrique et en Orient, on est dans le point de vue de la communauté. Par exemple, les apparitions de la vierge sont communautaires. On ne se pose pas la question d’y croire de manière individuelle. On croit de manière collective. On croit. Les coptes d’Egypte que j’ai rencontrés ne questionnent même pas les apparitions de la Vierge. Ils y croient. Je dirais que ma subjectivité, celle que je revendique dans le film, me vient de ma double culture. J’ai grandi en Egypte puis je suis venu en France, avec mes parents. Cela a posé de nombreuses contradictions, j’ai été obligé de me définir, de choisir un camp et ensuite, de comprendre les différences culturelles.
Certes, en Egypte, la croyance est ancrée de manière communautaire. Mais j’ai vu que l’un de mes cousins a exprimé un doute d’une manière qui m’a intéressé, grâce à l’utilisation de la fiction que j’ai introduite avec le film. Dans la deuxième partie du film, lorsque je décide de mettre en scène et en film une apparition de la Vierge au village, je lui ai dit : « Toi, tu vas jouer le rôle d’un type qui ne croit pas et retrouve la foi grâce à l’apparition ». Cela l’a mis en colère ! Il m’a reproché violemment de l’avoir fait douter, avec mes sbires et toute ma mise en scène... ! Et cette colère est venue spontanément. Je me suis dit que ce doute était en fait enfoui en lui et avait besoin de s’exprimer. Ils ne sont donc pas dupes. Si on parvient à trouver un axe pour les questionner sur la croyance, au delà des affirmations, on découvre qu’il existe une faille et même, pour certains, un questionnement. Mais le discours de la communauté, le discours collectif est très puissant. Je dirais qu’en France, le discours communautaire, paradoxalement, est celui du « moi, je ». C’est une autre idéologie ! C’est d’ailleurs ce qui me choquait à l’école. L’individualisme. Et cette manière cartésienne de raisonner.

Ce personnage, prétexte ou non, de Namir qui mène son enquête, s’est donc imposé d’emblée comme pilier du récit ?

Non ! Mon personnage est arrivé très tard dans le film. Une grosse partie du travail a été d’accepter que je devienne un personnage du film. J’étais déjà présent comme celui qui pose les questions, mais au début, il y avait de la pudeur, de la gêne, une résistance en moi. C’est le chef opérateur, Nicolas Duchêne, qui m’a encouragé et poussé à devenir un personnage assumé du film. Il venait me chercher avec ses panoramiques, ses mouvements de caméra. Il disait : « il me manque un plan sur toi ». Et en montage, le lien entre toutes les séquences disparates du film est apparu : c’est Namir ! Il fallait donc que je sois présent à l’image. J’ai donc accepté d’être filmé et c’est même devenu un plaisir.

Est-ce que le fait de jouer dans un film correspond à un désir ancien ? En quoi jouer dans le film donne-t-il davantage de force ? L’auto-fiction documentaire offre-t-elle une expérience privilégiée de mise en scène ?

Au collège, j’ai fait acteur. Mais je voulais plutôt être derrière la caméra. Dès le moment que j’ai assumé de jouer dans mon film, je me suis mis à aborder les sujets, même les plus personnels, avec une liberté énorme. Lorsqu’on est acteur, on est aussi le metteur en scène dans le plan. Je pouvais donc diriger la scène de l’intérieur. Si une idée me venait pendant que l’on tournait, je l’essayais. Je pouvais provoquer les choses de l’intérieur. Par exemple, pour ce qui concerne la mise en scène. On filme des scènes selon plusieurs axes. Or, je n’ai pas très envie de diriger les comédiens ou de réorienter les dialogues. Donc, on restait dans les dialogues, je ne leur redemandais pas officiellement de rejouer la scène, mais je réorientais la scène dans la continuité. Je dirigeais de l’intérieur.

Et la distance ironique qui donne le ton du film, comment s’est-elle élaborée ?

Ah ! Cela, c’est de l’auto-défense, c’est ce que je suis dans la réalité ! Même quand je ne suis pas dans le plan, par exemple, en tant qu’enquêteur, je pose déjà des questions provocatrices... Toutes les discussions que j’ai avec ma mère, par exemple. J’ai tout le temps ce genre de réparties ! Et on le tente pour le film. Disons que l’on a réussi à recréer un cadre pour laisser vivre cette liberté et permettre de retrouver le naturel que ce que l’on est dans la vie. Donc, le film n’est pas un film sur moi, mais au contraire, un film sur un metteur en scène qui a trouvé le moyen le plus efficace pour diriger les choses !

Tout cela était-il présent dans le scénario, lorsque le projet de documentaire de création a obtenu l’Avance sur recettes du CNC ?

Tout y était, le scénario était déjà écrit, sauf la partie fiction (la deuxième moitié du film !), qui était résumée en une phrase : « Namir arrive au village et met en scène une fiction ». Cela a d’ailleurs fait l’objet d’une discussion avec Bruno Dumont sur la question du pari qu’était la fiction etc. Mais bon ! Le film, c’est tout ce qui n’était pas dans le scénario. Le film était écrit, les rencontres avec l’épiscopat, tout, mais il m’ennuyait.

Quels sont vos maîtres cinéastes ?

J’adore Bunuel. Mais j’ai revu des films de Bunuel récemment et j’ai moins aimé que la première fois. Bunuel m’a aidé à me construire. Il ne faut pas forcément revoir ces films. Mon problème, au début, était de faire des films. J’ai été sous influence des cinéastes que j’aimais bien, et il m’a fallu m’en affranchir. Mais récemment, quelqu’un a cité Bunuel à propos de mon film, ce qui m’a touché. Si j’aime Bunuel, c’est qu’il y a des choses de moi que je retrouve chez lui. Sans être forcément dans l’imitation. J’ai des admirations pour des films. Il y a quinze ans, j’étais dans l’admiration. J’ai eu ma période cinéphile. Ford, Bunuel, Renoir.

Et Nanni Moretti ?

Je commence à apprécier ! Je n’aimais pas, avant. Je trouvais son cinéma narcissique. J’avais un rejet, je ne supportais pas son personnage.

Comprenez-vous mieux sa démarche, maintenant que vous avez fait un film à la première personne ?

Non... Pour moi, ses premiers films étaient ratés. Aujourd’hui, ce que j’aime, c’est voir le cheminement d’un cinéaste. Il m’était antipathique. Aujourd’hui, il devient une institution. C’est difficile de rester soi-même, surtout lorsqu’il y a le succès. Bunuel aussi, s’est mis à faire du Bunuel, à faire ce que l’on attendait de lui. Il devenait moins surprenant. Rohmer, pour moi, a été plus intéressant jusqu’à la fin. Il continuait d’essayer des choses.

Propos recueillis par Caroline Pochon
Lussas août 2012

Lire Namir, dont la mère a vu la Vierge
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