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Sur la planche - Cannes 2011
Publié le : vendredi 27 mai 2011
Quinzaine des réalisateurs

Leila Kilani, Maroc, 106’
Production : France, Allemagne, Maroc




Leila Kilani et sa comédienne (Soufia Issam)






Le seul film qui représente l’Afrique cette année à Cannes est un premier long métrage marocain. Sur la planche, de Leila Kilani, raconte la vie d’un gang de filles à Tanger. C’est un film sur le fil du rasoir autant que sur la planche. Clap Noir a vu et aimé il y a deux ans son beau documentaire fleuve Nos lieux interdits, qui allait à la rencontre des anciens prisonniers politiques sortis des geôles marocaines.

Ici, la réalisatrice affirme avant tout une écriture fictionnelle qui se nourrit de son expérience documentaire. Avec une caméra portée, mouvante, instable, refaisant parfois le point, filmant autant le « social » qu’une intrigue très minimaliste, la réalisatrice renoue avec la fiction à la manière d’un Ken Loach, ou encore à celles des Frères Dardennes, eux aussi venus à la fiction via le documentaire, c’est à dire une fiction qui ne se veut pas fictionnelle. L’intrigue est réduite à son minimum, l’héroïne, dont le visage filmé en gros plan habite nerveusement tous les plans du film, est tout sauf une héroïne. Ouvrière le jour, voleuse d’Iphones la nuit, elle est en lutte pour sa survie, mais elle ne sait pas où elle va.

C’est un personnage étonnamment torturé qui nous est livré dans ce film. Tout semble lui brûler les doigts : la famille absente et dont elle ne parle pas, les hommes, qui sont eux aussi totalement mis à l’écart de ce récit et qu’elle ne côtoie ni ne rencontre, sa misère et l’odeur des crevettes qu’elle épluche à longueur de journée à l’usine, le fait qu’elle ne soit pas aussi jolie, pas aussi féminine que ses comparses. Ce que ce film nous montre d’une jeunesse marocaine âpre et en souffrance est parfaitement aux antipodes du cliché orientaliste de la femme maghrébine. Et le film pourrait avoir lieu dans une cité de la banlieue parisienne autant que dans cette ville du continent africain.
Ces filles sont dures, indépendantes, paumées aussi, elles sont comme les filles des films de Tarentino, mais dans un film social. Film social n’est pas un bon mot, il enfermerait trop un propos qui confine au documentaire, à la poésie de la voie intérieure. Film coup de poing comme le dit la réalisatrice irait mieux. La référence évoquée lors de la présentation cannoise du film était aussi Wanda de Barbara Loden, film unique et singulier réalisé dans les années soixante-dix, portrait de femme à bout de souffle.

En arrière-plan, le mouvement politique qui a traversé le Maghreb en 2011, porté par cette jeunesse décrite par le film. L’image est belle, troublante. Cette réalité poisseuse des bas-fonds de Tanger, on la ressent, elle colle presque à la peau du spectateur cannois dans la belle salle de la Sélection Un certain regard. Le propos politique n’est pas appuyé mais il est clair et sans pitié. Le film montre la mondialisation et son cortège d’exploitation, sous-traitance, exode rural, place des femmes dans une société qui reste patriarcale et fermée, quand on devine ses institutions, lors des rares moments où l’on sort des marges où se situe le film. Résister, mais comment tenir ? C’est le cri que semble pousser cette fille.

La limite du film, c’est cette mise à l’écart du désir - si ce n’est celui de la survie. Entre l’héroïne et l’une des filles de la bande, on devine du désir. Le film ne montre pas de vie sexuelle. Il fait l’impasse. Pudeur de la réalisatrice, qui pourtant n’a pas manqué d’audace et de brio pour le reste, ou alors réalité si frustrée de cette jeune femme – et pourquoi ? On ne sait rien de son passé et c’est un choix qui nous prive peut-être d’un peu plus d’empathie. De quoi, de qui est-elle l’emblème ?

Et puis, bien sûr, le choix de ne pas se servir de ficelles narratives laisse par moments un sentiment de flottement, d’errance. Celle du personnage, mais aussi celle du spectateur. En quoi une intrigue forte, une progression dramatique dure et soutenue, l’évolution psychologique d’un personnage principal bien campé frelateraient-elles la vérité documentaire qui émerge d’une telle histoire, qui dit avec grâce des choses dures sur les femmes, sur la jeunesse, sur la vie.

Caroline Pochon

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