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« Faire un film au Cameroun n’est pas plus horrible que tourner à Paris »
Publié le : mercredi 27 mars 2013
Entretien avec Françoise Ellong

Juste une question de temps et la charismatique jeune réalisatrice pourra brandir son long métrage fiction complètement achevé. Entre-temps, elle veut bien revenir sur le déroulement du tournage, ce qui a motivé ses différents choix…

Tu es en phase post production de ton film W.A.K.A tourné au Cameroun, à quel niveau se trouve actuellement le projet ?

Nous tenons actuellement une première version du montage image. Il ne s’agit pas juste d’un simple bout à bout des séquences de manière chronologique. Nous avons bel et bien monté, avec le souci du détail et en y passant des journées entières. Les mixeurs sons, l’étalonneur et le compositeur ont déjà un export en main. Cependant, à ce niveau de la post production, on devra se contenter d’un bon pré mixage et d’un bon pré étalonnage, car pour finaliser, il nous faut davantage niveau budget.

Il s’agit de ton premier long métrage et tu décides de le tourner au Cameroun, quelles ont été tes diverses motivations ?

L’étape du long-métrage en ce qui me concerne, est une étape importante et cruciale dans la vie d’un réalisateur. Je suis d’avis qu’on a encore la possibilité de faire un peu « ce qu’on veut » et les âmes qui se greffent autour du projet sont là avant tout par passion du cinéma, par amour de l’histoire racontée ensuite et puis il y a aussi cet esprit de famille au sein d’une bonne équipe. Le Cameroun est mon premier « chez-moi ». J’ai voulu rendre hommage à cette terre qui m’a vu naître, qu’elle soit celle par laquelle je franchie cette fameuse étape. Et puis, j’étais curieuse. J’essaie d’aller au Cameroun tous les ans et avant « La Nuit du Court-métrage de Douala », je n’avais jamais essayé d’approcher le milieu du cinéma camerounais. Non pas par désintérêt, mais pour la simple et bonne raison que mes voyages au Cameroun me permettent de me ressourcer et d’être en famille. Je passe déjà ma vie à exercer ma passion en France, au Mboa (pays en argot camerounais Ndlr), j’aspire davantage à la sérénité et paradoxalement, au calme.

Certains comédiens castés au départ ont dû être remplacés, quelles étaient les raisons ?

Des problèmes de communication je dirais. Quand on communique mal, on en paye les frais que ce soit d’un côté comme de l’autre. Aussi, j’ai un franc parlé qui dérange et je comprends bien que ça casse de temps en temps. Je ne suis pas blanche comme neige dans cette mauvaise communication, mais j’assume toujours les choses quand elles arrivent et j’assume aussi ma manière directe de parler. Mais aujourd’hui, quand j’y regarde de près, je me dis que les choses n’arrivent pas par hasard. Cela devait être ainsi. Le chemin a juste été un peu tortueux pour y arriver. Je n’ai aucune colère contre qui que ce soit, ni de rancunes et pour ceux qui en ont, je leur offre volontiers un soda demain et on en parle entre adultes. Je prends mes responsabilités et j’avance. Ça ne me ressemble pas de regarder en arrière. Ce sont les aléas du métier et c’est le jeu.

Certains observateurs pensent que c’est un gros risque de faire reposer un film pareil sur une comédienne qui n’a pas encore fait ses preuves au cinéma…

Je n’ai qu’une seule chose à leur dire : je m’ennuierai beaucoup dans ma passion, si je ne prenais aucun risque. Ce sont les risques que je prends tous les jours, qui font que j’avance. Le mot « normalement » ne fait pas parti de mon dictionnaire. J’apprends. A chaque moment, à chaque film, à chaque rencontre. Et pour être tout à fait franche, si les cinéastes du monde devaient tous attendre qu’un acteur fasse ces preuves au cinéma avant de lui confier un rôle principal, je pense qu’on serait passé à côté de très bons films. Mais cela rejoint aussi le début de ma réponse concernant mon choix de tourner au Cameroun. Mon film repose sur Patricia Bakalack. Si je devais le refaire, il reposerait à nouveau sur elle.

Qu’est-ce qui t’a guidé dans le choix de tes acteurs principaux ?

Je fonctionne beaucoup à l’instinct et au coup de cœur. Les premiers acteurs que j’ai inscrits dans ma wish-list, sont ceux qui instinctivement, m’ont « parlé ». Mais j’ai manqué un peu de lucidité sur certains choix, alors mes seconds choix ont été plus posés. Quand j’ai vu Patricia Bakalack pour la première fois par exemple, je me suis dit « Wow c’est elle !! ». Pourtant, elle n’était pas mon premier choix instinctif dont je parle plus haut. Travailler avec Bruno Henry (Max) ou Yoli Fuller (Adam Adulte) pour moi a coulé de source. Ce sont deux très bons comédiens avec qui je travaille beaucoup à Paris. Bruno ne connaissait pas du tout le Cameroun et Yoli est de la diaspora. Le petit Frank Ateh (Adam 8 ans), je l’ai découvert dans un court-métrage durant « La Nuit du Court-métrage de Douala » et ça été une vraie mission que j’ai confiée à mon directeur de casting Francis Kengne de le retrouver coûte que coûte. Quant à Alain Bomo (Luc), il est arrivé tard sur le film suite aux changements de comédiens. Il m’a été très justement suggéré par mon producteur exécutif et c’est un choix que je salue énormément aujourd’hui : Alain est parfait pour le rôle. J’ai également découvert de très bons comédiens, issue de la sélection faite par Francis et Gervais Djiméli Lekpa, son assistant. Je parle du très bon Jacobin Yarro et d’Emilienne Ambassa par exemple ! Je ne peux terminer ma réponse sans parler de Céline Victoria Fotso, mon challenge personnel sur ce film. Céline n’est pas du tout issue du milieu du cinéma, mais son charisme et sa personnalité m’ont suffit à songer à lui proposer un second rôle. Je vous l’ai dit : prendre des risques, c’est mon leitmotiv.

La disponibilité des fonds a-t-elle conditionné le casting ?

Je dirai oui et non. Je dirai « oui » pour le choix de certains personnages secondaires, mais finalement une petite partie. Rien de dramatique à mon sens ou quoi que ce soit pour me faire paniquer en tout cas. Et puis je répondrai un « non » général si la question ne se pose que pour les acteurs principaux.

Vous avez tourné pendant un mois, de jour comme de nuit, qu’est-ce qui a été le plus difficile à gérer dans l’organisation du travail ?

Le temps nous a fait énormément défaut. Tout est un peu aléatoire, car on ne sait jamais si lorsqu’on va arriver sur un décor, tout va se passer comme prévu. Je pense que beaucoup de gens au Cameroun n’ont pas conscience de l’enjeu que c’est de faire un film. Alors vous arrivez et discutez avec le proprio d’un lieu. Il est heureux, vous dit « oui » et « amen » à tout ce que vous dites. Vous allez jusqu’à signer une autorisation de tournage avec lui pour que le jour J, il voit débarquer toute l’équipe et prend peur. Il y a aussi ceux qui sont là clairement pour perturber le bon déroulement du tournage. La gestion du temps a été un vrai problème. Nous connaissions toujours l’heure du PAT (Prêt à Tourner), mais jamais à quelle heure exactement nous allions finir. C’est à ce moment là qu’en tant que réalisateur, on apprend à connaître les personnes avec lesquelles on travaille. L’équipe n’a rien lâché. Nous avons été soudés, nous n’avons formé qu’un pendant un mois entier et nous nous sommes serrés les coudes. Une vraie famille !

La production s’est faite avec un matériel de qualité, l’avez-vous acquis facilement ?

Facilement ? Je ne sais pas si c’est tellement la bonne question. Nous avons loué le matériel et chaque loueur a été assez arrangeant et compréhensif au niveau des tarifs. Un des producteurs associés du film a mis tout son matériel à disposition pour toute la durée du tournage ! Concernant les loueurs, j’y suis allée vraiment par affinités. Je n’oublie jamais une boîte de location qui m’a permis de faire un projet à un moment donné pour un court-métrage ou autre, alors c’est naturellement que je me tourne vers lui. Ce n’est pas toujours facile tous les jours, mais je vais toujours jusqu’au bout de mes engagements.

Quelles sont les difficultés majeures que tu as rencontrées avant et pendant le tournage ?

Avant le tournage, je dirai cette sorte de craintes de personnes qui n’y connaissent rien à l’Afrique et qui s’imagine que tourner en Afrique, signifie tomber en plein dans une guerre civile. Et puis pendant le tournage, je dirai que chaque jour a été un vrai challenge, mais je n’en garde pas de mauvais souvenirs, bien au contraire !

Ton film est co-produit par deux maisons de production (française et camerounaise), pourquoi cette option ?

Mon film est co-produit par deux productions françaises et dont la production exécutive est Camerounaise. « W.A.K.A » est à 100% le reflet de ma double culture et ce dans tous les sens du terme.

On note également ce mixage (franco-camerounais) au niveau des acteurs, c’est un choix des producteurs ou alors ça n’a pas été facile de retrouver ces différents personnages au Cameroun ?

C’est un choix de la réalisatrice. Quand j’ai commencé à penser au casting de « W.A.K.A », une fois de plus, mon idée était réellement de faire de ce film un vrai métissage Franco-Camerounais. C’est un hommage à ma double culture, que j’assume totalement peu importe ce qu’en pensent les frileux ou les grincheux. Cette double culture est une richesse pour moi, et l’esprit qui règne autour du projet est dans cette même vision et lancée. « W.A.K.A » est une passerelle entre la France et le Cameroun et je souhaitais montrer la compatibilité de ce mélange. Les acteurs camerounais et les acteurs français ou issue de la diaspora s’y donnent la réplique aisément. Ils étaient tous attachés à leur personnage et à l’histoire qu’ils allaient raconter. Le reste n’avait que peu d’importance pour eux et c’est très bien !

Tu as, à un moment donné, lancé un appel à financement de ton film sur Facebook, quel résultat as-tu obtenu ?

Oui. Cela s’appelle du Crowdfunding. Je l’ai fait via une plateforme qui a un nom bien rigolo que j’aime bien « Kiss Kiss Bank Bank » (rires). Eh bien le résultat, c’est que nous avons récolté plus que nous l’espérions. C’était vraiment magique de voir toutes ces personnes prêtes à aider le film, en partageant le lien sur leurs murs ou/et en participant financièrement à hauteur de leurs moyens. Ce n’est pas la somme qui était importante, mais le geste effectué et pour cela, j’ai une reconnaissance infinie envers toutes ces personnes !

Avez-vous entrepris des démarches pour un soutien du ministère camerounais des Arts et de la culture ?

Bien entendu. Nous avons entrepris les démarches avant même d’atterrir au Cameroun et de commencer à tourner. Une fois au Cameroun, je suis même allée pour la première fois à Yaoundé, accompagnée de mon producteur exécutif Cyrille Masso, de mon chef opérateur Thomas Moren ainsi que d’un régisseur du film. Aujourd’hui, nous ne savons toujours pas concrètement ce que le ministère des Arts et de la Culture est prêt à faire pour notre projet, mais nous sommes persuadés qu’il saura se positionner comme il se doit sur ce film. Quand on sait que le film est tourné à 90% avec des Camerounais et à 100% au Cameroun, il serait à mon avis très surprenant que les seules subventions de ce projet soient uniquement françaises. Nous tenons à saluer au passage la compagnie aérienne Camair-Co, grâce à qui ce film existe en grande partie. La compagnie a été un soutien remarquable pour le projet et est à ce jour le seul vrai soutien qui nous vient du Cameroun. Pourtant, un bon nombre de dossiers a été déposés auprès de plusieurs entreprises et des rendez-vous ont même été faits sans aucune réponse apportée. Mais pour en revenir au ministère des Arts et de la Culture, un courrier reçu du Secrétaire Général pendant le tournage, nous montre le désir du ministère d’apporter sa pierre à l’édifice de ce projet. Wait and see…

Tu vis en France depuis ton enfance, que savais-tu de l’univers cinématographique camerounais en venant tourner sur place ?

Pas grand chose, en fait. Ce serait mentir que dire que j’avais au préalable fait toute une analyse sur le cinéma camerounais avant d’atterrir au Cameroun. Le soir chez moi, ça m’arrive de fouiller le web pour dénicher quelques films ou séries camerounaises. Je me souviens de toute une période où je cherchais Quartier Mozart de Jean-Pierre Bekolo partout et quand j’ai fini par le trouver, j’étais vraiment aux anges ! Et puis de fil en aiguille, j’ai également trouvé La Danse de la Séduction de Daniel Kamwa et des séries bien drôles à la Kamer ! Je suis vraiment partie à l’aventure et puis j’ai surtout fait une confiance aveugle à mon producteur exécutif Cyrille Masso, sans qui pas mal de choses n’auraient pas été possibles pour mon projet. J’ai une énorme reconnaissance pour ce grand Monsieur.

Après le tournage, ton regard a-t-il changé ? Quelles sont les réalités auxquelles vous avez fait face ?

Mon regard n’a pas changé sur quoi que ce soit. Faire un film, c’est très difficile. Que ce soit en France, en Angleterre, aux Etats-Unis ou je ne sais où c’est le même combat. A des échelles différentes et à des niveaux différents certes, mais si faire un film était facile, je pense que ça se saurait. Nous avons bien galéré à faire ce film et des anecdotes un peu effrayantes, il y en a ! N’empêche que ça reste une fois de plus le jeu ! Faire un film au Cameroun n’est pas plus horrible que faire un film ici à Paris avec des milliards d’autres difficultés. Alors si l’opportunité se représente à nouveau, l’équipe et moi-même sommes prêts à atterrir de nouveau au « Mboa » et taquiner les riverains avec nos « SILENCE ! » (rires). Les techniciens français ont adoré le Cameroun ! Au bout d’un moment, ils s’y sentaient comme chez eux et commençaient à avoir leurs petites habitudes. Les rues de Douala leur manque un peu je pense, l’ambiance, les gens et surtout, les soyas ! (rires).

Tu nourris donc déjà d’autres projets au Cameroun ?

J’ai même déjà deux projets en tête que j’adorerai tourner là-bas, mais ça reste vague et pas du tout d’actualité. On verra bien. Si une boite de production camerounaise me sollicite pour un film ou une série, je suis prête à descendre au Cameroun tourner si c’est sérieux et carré. L’équipe également …

A l’heure actuelle, quel est le calendrier des sorties du film et quel parcours lui réserves-tu ?

Mon calendrier n’est pas encore totalement précis, mais on y travaille tous les jours. Pour l’instant, nous marchons plus par objectifs. Depuis le début, le but a toujours été de pouvoir envoyer une bonne première version au Festival de Cannes prochain. On verra bien ce que ça donne. Mais les Festivals du monde sont listés et c’est l’ordre d’envois qui va être important. Affaire à suivre…

A quel moment le film peut être vu au Cameroun ?

On prévoit cela après la période festivalière. Vous dire quand exactement serait prématuré. Nous attendons patiemment que certaines choses avancent. Une fois de plus, wait and see.

Propos recueillis par Pélagie Ng’onana

Crédit photo : © Rafoto

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