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Le Fespaco, une affaire d’État(s)
Publié le : mercredi 27 mars 2013
Festival Panafricain de Cinéma et de Télévision de Ouagadougou 1969-2009

Colin Dupré, L’Harmattan, 2012

Un jeune historien français nous emmène dans l’aventure du Fespaco, des années glorieuses de sa naissance, dans la Haute Volta de la fin des années soixante, à un bilan actuel, en passant par son âge d’or, de 1983 à 1987, pendant les « années » Sankara. Nous y découvrons un cinéma africain né sous le signe de la politique, nous allons voir avec lui de quelle manière. L’ouvrage est rigoureusement documenté, rédigé d’une plume vive et intelligente. Les amateurs y (re)découvriront les enjeux politiques qui ont tenu le cinéma africain depuis sa naissance, le lieu fort du Fespaco en devenant peu à peu l’emblème. L’angle des politiques culturelles s’avère particulièrement fécond à travers ce cas particulier... très particulier qu’est le Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou.

La « préhistoire » du cinéma en Afrique

La partie la plus réussie du livre est incontestablement celle des débuts. L’auteur y analyse en détail la pensée anti-impérialiste et panafricaniste des pères fondateurs. Il passe tout d’abord en revue ce qu’il appelle la « préhistoire » du cinéma au temps de l’Afrique coloniale. Dès ses débuts, le cinéma est un outil politique dont se sert le pouvoir colonial : le cinéma est déjà potentiellement un outil pour l’administration coloniale, car il permet de rendre le colonisateur un peu plus sympathique en proposant du divertissement.
L’historien revient à juste titre sur l’emploi du terme « ludique »... Que les images de l’Afrique soient réalisées en direction de la métropole (souvent vues en première partie au cinéma) ou bien en direction des populations indigènes, le cinéma colonial, entre propagande et folklore, est un outil de domination. En 1934, le décret Laval définit les règles permettant de tourner et projeter des films en AOF (Afrique Occidentale Française).
Les premiers films réalisés par des cinéastes africains sont sporadiques. Colin Dupré a mené une enquête sérieuse, faisant remonter à 1950 (et non à Borom Sarrett !) pour La leçon de cinéma du congolais Albert Mongita, même si la plupart des ouvrages passent ce film sous silence.
On retrouve plus tard l’œuvre à part de Jean Rouch ( évitant de devenir un réalisateur au service de l’administration coloniale ), tandis que le documentaire Afrique 50 de René Vautier lui vaut un an d’emprisonnement et une censure jusqu’en... 1990.

La toute première édition, l’ancêtre du Fespaco a été lancée par... un Français, Claude Prieux, directeur du Centre Culturel Français de Ouagadougou, en 1968. Les membres du ciné-club (présidé alors par René Bernard Yonli, premier cinéaste burkinabé), réunis en novembre 1968, se sont posé des questions sur l’invisibilité du cinéma africain en Afrique même. Le récit de ce début, raconté par Gaston Kaboré, tout jeune à l’époque, est passionnant : l’initiative est privée, mais placée d’emblée sous le patronage de l’Etat de Haute Volta, présidé par le Général Lamizana. Il y aura 10.000 spectateurs et 219.000 francs CFA de budget. Mais Claude Prieux est écarté de son poste par le gouvernement français...

Politiques culturelles africaines

Les politiques culturelles sont au cœur de l’approche de cet ouvrage, qui ne tarde pas à évoquer l’évolution des politiques culturelles des pays africains, en relation avec celles menées par la France. Très tôt, dès les indépendances, les pays africains placent la préoccupation culturelle au cœur de l’enjeu politique. C’est le sens de la charte d’Addis-Abeba réunissant les 32 pays membres de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) en 1963, relancé par le Festival mondial des arts nègres de Dakar, en 1966, sous l’égide de Senghor. Le festival panafricain d’Alger en 1969, marque une date importante, avec un manifeste fortement anti-impérialiste : Nous aurions pu ainsi nous contenter d’un passé culturel folklorique, d’une « culture du pauvre », et renoncer finalement à notre vraie liberté et à nos réelles indépendances . La mission du cinéaste est d’éveiller les consciences.

Le sommet de Niamey en 1969, voit la création de la Francophonie. En 1970, la FEPACI (Fédération panafricaine des cinéastes) voit le jour, avec en son sein les pionniers Paulin Soumanou Vieyra, Ousmane Sembène, Ababacar Samb Makharam, pour le Sénégal ; Oumarou Ganda et Moustapha Alassane pour le Niger ; Tahar Chéria de Tunisie, Med Hondo de Mauritanie, Souleymane Cissé du Mali, pour citer les principaux. L’Afrique du Sud est représentée par l’ANC, avec Lionel Ngakane. La FEPACI prône la nationalisation des industries cinématographiques et fait appel aux États africains pour une politique culturelle. La Haute Volta nationalisera ses cinq salles en 1970. D’autres suivront. D’autres pas. La FEPACI, très influente durant les années soixante dix, se réunit à Alger en 1975, à Niamey en 1982, toujours pour encourager les États à mener des politiques cinématographiques fortes. Des années 60 aux années 80, le Fespaco d’inscrit dans une politique volontariste.

Sankara : « la caméra au peuple ! »

L’homme politique que les cinéastes appelaient de leurs vœux est apparu sur la scène politique en 1983, à l’occasion d’un coup d’État. Parler de Sankara sans langue de bois était un défi que relève Colin Dupré, qui analyse les différentes éditions du Fespaco depuis sa création. Pour lui, l’apogée du festival se déroule entre 1983 et 1987, durant « l’ère Sankara », dont l’anti-impérialisme, proche du guévarisme, va contribuer à faire de la Haute Volta, désormais nommée Burkina Faso, le grand pays du cinéma en Afrique. « La caméra au peuple ! » devient un slogan national. Durant cette période mythique, le Fespaco devient un événement « gigantesque », un marché (le MICA) est créé. Surtout, la politique est au cœur des thématiques des films, tandis que le Fespaco est au cœur du projet politique de Thomas Sankara, qui mène selon l’auteur une diplomatie culturelle révolutionnaire par le Fespaco.

Après l’assassinat de Sankara, les éditions sont marquées par le boycott de nombreux cinéastes. Puis, peu à peu, le festival reprend un rythme, suivant une évolution en dents de scie, subissant des difficultés d’organisation récurrentes, mais ouvrant également ses financements extérieurs à d’autres interlocuteurs que la France (Europe, Unesco...). On lui reproche de se « canniser »... Le festival de 1995 a un budget d’environ 300 millions de Francs CFA, dont environ 50% payé par l’Etat du Burkina Faso. La partie bilan contemporain nous apprend moins de choses, elle évoque les problèmes d’organisation que nous connaissons et paraît moins originale.
L’aspect économique et institutionnel de l’approche reste un angle important, l’auteur s’intéressant toujours au concret des choses pour mieux cerner la notion de politique culturelle, à travers ce cas particulier extraordinaire qu’est le Fespaco.

Caroline Pochon

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