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La raison du plus fourbe
Publié le : dimanche 7 décembre 2014
Timbuktu d’Abderrahmane Sissako

Sortie nationale le 10 décembre 2014

En attendant dans la salle obscure les premières images de Timbuktu, on pense savoir à quoi s’attendre. Après Bamako, Abderrahmane Sissako remet le couvert et continue de questionner les travers d’un monde qui peine à vivre ensemble. Et c’est vrai. Il est question de cela, encore, dans Timbuktu. C’est une des similitudes entre ces deux films, il y en a d’autres. Mais gare à ceux qui penseraient trouver un deuxième "Bamako", il font véritablement erreur.
Lors de l’avant-première, on avait annoncé à la salle "un choc de cinéma"... Je n’ai pas été déçue.

Bien que formellement riche, Timbuktu se veut moins déconcertant en termes de construction et de mode de narration que Bamako. La forme chorale mène le spectateur d’une histoire à l’autre au sein de cette ville occupée et de sa périphérie, mais la structure narrative reste classique, le traitement photographique est homogène (on saluera d’ailleurs le travail superbe de Sofian El Fani) et le déroulement des faits chronologique. Timbuktu pourrait donc être la chronique d’un quotidien sous la tyrannie, mais il est beaucoup plus que ça.

D’abord, la patte Sissako opère encore, en un jeu subtil avec le drame et l’absurde. Les terroristes qu’il dépeint sont une équipe de ratés au front bas, incapables, manquant de convictions autant que d’instruction. Ils inspirent le désarroi plus que la terreur, la moquerie plus que le respect. Mais dans la vie de la Cité passée sous leur contrôle, cela ne les empêche pas d’imposer leur joug, et c’est toute la force du message que délivre le film. On rit jaune autant qu’on se désole à la tentative d’enregistrer un message vidéo appelant les rappeurs au Djihad.

De Djihad justement, il sera encore question un peu plus tard. De Djihads, même, serait-on tenté d’écrire, tant il tient à cœur au cinéaste de réaffirmer haut et fort, noble, le sens premier et nécessaire d’un mot qui fait aujourd’hui si peur. C’est un procédé qui réapparaît tout au long du film, de manières diverses et subtiles. Par un jeu de mise en miroir de paroles et de situations, Sissako instaure un dialogue entre un Islam respectueux des valeurs de paix et de tolérance - porté par l’Imam et les fidèles - et une soif de pouvoir qui s’agrippe au sacré pour tenter de mieux se justifier. Double tour de force, montrant à la fois comme le dialogue est voué à l’échec dans ce type de rapport de forces, mais du même coup comme la voix de la modération peine à s’affirmer face à la brutalité, et finalement donc la nécessité de tendre l’oreille, et de lui porter assistance quand elle est menacée. La figure de l’Imam tout de blanc vêtu, ses mots, son attitude qui questionne autant qu’elle accompagne, sa capacité à se montrer à la fois doux et ferme, les valeurs qu’il prône lors de son échange avec les fondamentalistes, sa façon d’être là, proche, bienveillant, sans intrusion, sans protection, sans masque est comme l’image d’Épinal de ce que l’Islam devrait être. En fait, c’est ce qu’il est réellement pour le plus grand nombre.

La critique sociale n’est jamais bien loin dans l’oeuvre de Sissako, et on rapprochera ce dévoiement de l’Islam dont il est largement question - on pourrait d’ailleurs facilement l’élargir au fait religieux dans son ensemble - des éléments que plante la narration tout autour de cette problématique sans pour autant s’y appesantir : problématiques d’accès à l’eau, désertification des campagnes, raréfaction du bétail, isolement des villages par rapport aux centres de prises de décision, appauvrissement des ruraux...
En contrepoint de cette critique, sans avoir l’air de chercher à en faire des héroïnes, Sissako dessine des personnages de femmes qui si elles sont les plus opprimées sont aussi les plus courageuses et les plus sages, à l’image de Fatoumata Diawara, qui oppose à la morsure du fouet le chant qui l’a provoquée.

Le film se termine tel qu’il s’est ouvert, une gazelle court dans le sable du désert, mais le sens que prend cette image est tout autre.
Qu’attendre du futur pour les jeunesses qui ont connu l’horreur ?

Sophie Kamurasi

Lire aussi la critique cannoise : portrait choral d’une ville occupée

Fiche du film

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