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Le retour du fils prodigue
Publié le : vendredi 20 mars 2009
Les feux de Mansaré de Mansour Sora Wade



La parabole biblique a-t-elle influencé cette année la production cinématographique sénégalaise ? Il semble en tout cas que lorsqu’on entend parler wolof sur les écrans, c’est pour y découvrir de sanglants drames familiaux, qu’il s’agisse de L’absence de Mama Keita ou bien des Les feux de Mansaré de Mansour Sora Wade. Ce film reprend l’idée d’une lutte fratricide qui tendait déjà l’intrigue du film précédent du réalisateur, Le prix du pardon. Ici, contrairement au film précédent qui était situé dans un passé intemporel, l’Afrique des guerres et des mafias fait incursion dans la tranquillité de la tradition villageoise avec le retour du fils prodigue.

Quand Mathias, le héros - et il s’agit bien d’un héros, au sens grec et tragique du terme - revient au village de Mansaré, il est porteur de drame. La jolie Nathalie lui a été promise il y a bien longtemps, mais elle est amoureuse de Lamine, l’ami d’enfance de Mathias, devenu l’instituteur du village, qui l’aime en retour. Mathias est riche, mais sa richesse a les mains sales. C’est un mercenaire. Ce n’est pas une conquête amoureuse, c’est un assaut brutal, qui va mettre le village à feu et à sang.

Le drame pose l’éternelle question du conflit entre tradition et modernité. Lamine, malgré la justesse de ses intentions et sa sincérité, se voit désavoué par tous les hommes du village, en particulier son propre père, qui met en avant la tradition (le vieux pacte familial qui liait Mathias à Nathalie) au détriment des sentiments personnels et sincères. L’incursion de la violence mafieuse dans cette vie jusqu’alors idyllique, l’aveuglement du père de Mathias trop épris de son fils contribuent à la mise en place du drame. Plus encore peut-être, que la rivalité fondamentale qui oppose les deux jeunes héros.

Une mise en scène soignée et élégante, dans des décors et des costumes stylisés et intemporels rappelle beaucoup, - peut-être trop ? - , l’univers du film précédent de Mansour Sora Wade, Le prix du pardon. La modernité est présente de manière qui reste limitée et peut-être un peu caricaturale, à travers la présence du Blanc corrompu et corrupteur (on apprendra que c’est lui qui a encouragé Mathias à devenir un mercenaire et on le verra par la suite le trahir) et celle d’une jeune française travaillant pour une ONG, dont la participation à l’intrigue reste anecdotique. Autre apport de la modernité : le film fait exister le regard d’un petit garçon muni d’une caméra. Trouvaille scénaristique ou simple gadget visuel ? Le regard de cet enfant n’apporte en tout cas rien de concret à l’intrigue, les éléments qu’il filme ne servent pas par la suite. Un choriphée, griot, ivrogne, poète ponctue les actes du récit : on reste en fait essentiellement sur la scène antique, qui était déjà le cadre du Prix du pardon.

On a envie de se réjouir d’un beau film, même si c’est un film dont l’intrigue aurait pu être plus surprenante et les personnages plus complexes. Les passions humaines auraient pu être poussées encore plus loin, en particulier autour du thème fort du film : l’antagonisme entre deux amis d’enfance. Mathias, interprété par une belle gueule cassée, Ibrahima Mbaye, (excellent également dans Ramata de Léandre-Alain Baker), costumé de cuir noir, avec un cauri autour du cou est un méchant et il le reste. Nous ne découvrons pas toute l’étendue de sa complexité et manquons d’empathie avec lui. Il n’a pas de sentiments pour la belle, mais beaucoup d’orgueil. Le conflit existe sur le papier, mais il n’est peut-être pas suffisamment incarné dans la chair. Son antagoniste, le pur Lamine, manque de consistance et de force. Leur affrontement aurait pu aller plus loin. L’issue fatale pour Lamine est presque trop prévisible. En outre, qu’est-ce qui a primé au juste : le conflit entre Mathias et Lamine ou bien le poids des pères sur les fils, à moins que cela ne soit la corruption amenée en Afrique par la guerre et les mercenaires ? D’une certaine manière, le film n’a pas tranché. C’est donc un film que l’on regarde avec plaisir et attention, mais peut-être pas le meilleur de son réalisateur.

Caroline Pochon

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