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Métisse !
Publié le : lundi 24 janvier 2011
Notre étrangère de Sarah Bouyain








Sortie française le 2 février 2011
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La métisse, c’est une figure peu connue, peu explorée de l’intérieur, du croisement des mondes. Elle a une vie familiale souvent faite de ruptures, elle n’est ni vraiment blanche chez les Blanc, ni vraiment africaine en Afrique. Dans les deux communautés, elle peut être rejetée. La métisse, par définition, n’a d’autre choix que de se construire un destin à elle, singulier et surpassant les douleurs.

Etrangement, peu de cinéastes du « cinéma africain » avaient osé aborder la figure pourtant si passionnante de la métisse, ou disons, le thème du métissage, comme si elle était trop dérangeante. En France, un français l’avait fait, mais de manière assez anecdotique, sur le ton de la comédie, Mathieu Kassovitz, avec le film Métisse, en 1993. Là encore, on n’allait pas au bout du questionnement.

Voici qu’une jeune réalisatrice française, Sarah Bouyain, elle-même métisse, a décidé de briser ce silence qui finissait presque par devenir une loi. Elle a trouvé un double en la comédienne Doryla Calmel, (vue notamment chez Jean-Pierre Bekolo), jolie femme, peau caramel et allure très métropolitaine. Elle raconte une histoire très forte, interroge avec entêtement les liens familiaux. Son film va bien au delà de tout ce que l’on peut dire sur le métissage : il interroge en profondeur la notion de filiation.

Qui est la mère de cette jeune femme ? En effet, Amy a plusieurs mères. Celle qui l’élève en France depuis qu’elle a l’âge de huit ans (l’autre femme de son père français aujourd’hui décédé), Dominique Reynaud. Celle dont elle est en quête - sa « vraie » mère -, une burkinabée qu’elle ne parvient pas à retrouver en se rendant en Afrique, Assita Ouedraogo (on se souvient d’elle, intense, dans La promesse des frères Dardennes). Le film nous glisse un aperçu de la vie que mène cette femme, seule, vivant finalement en France, souffrant d’avoir perdu à jamais son enfant. Ou bien est-ce encore sa tante, cette femme sans enfants, au visage bouffi par l’alcool, cette virago impressionnante, Blandine Yaméogo, qui la reçoit dans la cour familiale à Ouagadougou et lui annonce que c’est elle – et non sa mère – qui l’a élevée jusqu’à ce qu’elle parte en France. Cette interrogation sur la filiation est très actuelle, très forte.

Le récit peine un peu à se mettre en route. Beaucoup de silences et de non-dits - pas encore assez pesants, pas toujours assez chargés -, sont là dans toute la première partie du récit, où la caméra hésite entre la contemplation et l’errance, sans que vraiment l’on sente assez le drame se nouer, le conflit affleurer. Mais ce sont des eaux dormantes et l’histoire familiale, lourde pour tout le monde, refait bientôt surface et le conflit explose. Là, enfin, les personnages sortent de leur torpeur tropicale ou de leur bienveillance banale. Là, enfin, les couleurs et les images de l’Afrique sont transcendées par un conflit qui touche aux tripes. Là, on comprend que le dispositif narratif proposé par Sarah Bouyain, avec l’aide de la scénariste Gaëlle Macé, ne s’inscrivait pas dans une idéalisation de l’Afrique en images figées et esthétisantes. Non, il s’agit en fait d’une pression emmagasinée toute une vie par les protagonistes qui explose pour se dénouer. Les ellipses et le choix de la fin sont justes et forts.

Film de femme, film sur les femmes, ce film travaille au corps le lien filial et le contact entre femmes, décliné selon différentes facettes. Notamment, la question de l’adoption est posée lorsqu’un personnage secondaire de femme française seule, interprété par Nathalie Richard, qui apprend la langue burkinabée pour une raison non avouée, parle à Mariem (Assista Ouadraogo) de son plan d’adopter un enfant burkinabé. La réaction de celle que l’on devine être la mère douloureuse de l’héroïne est extrêmement violente.

Les hommes, eux (morts, disparus ou hors du champ, tout simplement) ont été écarté du film par la réalisatrice. Peut-être la question de la loi du père fera-t-elle l’objet d’un autre film. Quant aux histoires d’amour que la jeune Amy pouvait vivre au présent, il est dommage que sa quête d’une mère ait également éludé la femme qu’elle est devenue et ses relations aujourd’hui, ici ou là, avec les femmes et les hommes. Sarah Bouyain a montré son courage et son talent pour son premier long métrage, elle saura aborder ces thèmes dans ses prochains films, on l’espère.

Caroline Pochon, Benoît Tiprez

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