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Rêveries d’un auteur solitaire
Publié le : samedi 4 avril 2009
Mama Keita et le scénario

Né à Dakar en 1956, réalisateur vietnamo-guinéen vivant depuis son enfance à Montreuil, Mama Keita a réalisé plusieurs long-métrages ( Ragazzi en 1990, Le 11ème commandement en 1997, Le Fleuve en 2002, Le sourire du serpent en 2006 et en 2009, L’Absence, sélectionné au Festival de Rotterdam (Hollande) et prix du scénario au Fespaco 2009 (Burkina Faso).

Le prix du scénario du Fespaco récompense cette année L’absence, votre cinquième long-métrage. Vous vous considérez comme un scénariste aussi bien que comme un réalisateur ?

Je me suis toujours imaginé en "director", comme on dit aux Etats Unis, en réalisateur. Lorsque j’ai vu pour la première fois "America America" d’Elia Kazan, il y a un plan où on voit des montagnes et le réalisateur dit son nom : "My name is Elia Kazan". Cela m’a fasciné. Le film raconte l’histoire de sa famille, obligée de quitter l’Arménie après le massacre des Arméniens par l’armée turque. C’est son destin qu’il raconte. "My name is Elia Kazan". C’est moi. C’est mon histoire que je vous raconte. Avant même de savoir ce que cela recouvrait, j’avais ce fantasme d’être le metteur en scène qui convie les spectateurs à cette histoire d’amour qu’est le film. Il y a donc d’abord cette statue du commandeur. Je suis un cinéaste. Mon fantasme transcrit mon histoire en images et en sons. Et je suis très emmerdé de parler de scénario ! Parce que je suis attaché à l’image d’épinal du scénariste à sa table de travail. Cette image me fascine mais je suis incapable de cela. Je vagabonde, je suis celui qui n’a jamais l’impression de travailler. Je ne sue pas mes huit heures d’écriture quotidienne. J’ai plutôt l’impression d’être celui qui part avec son épuisette et son filet à papillons, dans les chemins de traverse. Celui dont on se dit : "il se livre juste à un passe-temps, à un hobbie". Et j’écris mieux lorsque j’ai l’impression de ne pas travailler.

Est-ce une satisfaction d’obtenir le prix du scénario au Fespaco pour L’absence ?

Les mauvais élèves sont toujours surpris quand ils obtiennent un prix, eux qui ont toujours été dans la situation de l’illégitimité. Assis au fond de la salle, passe-muraille, surtout, ne pas se faire remarquer par le professeur. Et soudain, tout le monde se tourne vers vous ! Cela donne une sensation d’imposture ! Ils m’ont attribué cette récompense, surtout, qu’ils ne découvrent pas que je suis un bricoleur ! Que je suis le Bernard Madoeuf du scénario ! C’est ainsi que je ne suis pas monté sur le podium pour prendre mon prix. C’est la posture de l’imposteur !

Pouvez vous alors raconter comment se passe le travail d’écriture ?

Je n’écris pas de manière traditionnelle. C’est très curieux, je n’ai pas d’idées sur le scénario, et même si je donne souvent des cours de scénario dans des ateliers, je n’ai pas de méthode. La manière dont j’écris est casse-gueule. Je n’ai pas de chronologie. Ecrire, ça m’emmerde ! C’est d’ailleurs pour cela que je n’écris pas pour les autres. Ecrire me fait souffrir. Je n’ai pas le goût d’écrire. Je ne suis pas un scénariste joyeux. Je suis obligé, contraint de prendre la plume, mais je n’ai pas le souvenir d’aller vers la machine à écrire avec joie.

Ma journée de travail se passe ainsi. Après le petit déjeuner, c’est la lecture des journaux. Je passe aussi des tonnes de coups de fil. C’est un début indispensable. Je reviens à un livre que j’ai laissé en plan... et voilà qu’il est midi, le frigo m’appelle. Ou bien, je sors me sustanter. Je reviens, il est 15 heures, et je n’ai pas écrit une ligne ! Je ne commence à écrire qu’à 20 heures. Mais c’est un processus et en fait, le travail commence dès mon réveil. Je m’impose une chose : il faut qu’au moins trois idées me viennent chaque jour. Une fois que j’ai pondu ces trois idées, je m’arrête instantanément, même quand je suis dans l’euphorie de la création ! J’ai une méthode de paresseux, de mauvais élève ! Une fois que le boulot est fait, on évacue, on passe à autre chose, on appelle un copain, on sort dîner. Mais cette alchimie fonctionne, et je suis le premier à m’en étonner.

Y a-t-il une méthode de travail, des habitudes, des rituels, des trucs ?

Cela se passe donc dans un rituel particulier. J’arpente la pièce, je fais des kilomètres ! Je vais m’allonger. Il y a cette conviction que les idées me viennent quand je marche. Ou quand je suis sous la douche. Cet espace aquatique et rassérénant est très propice : une idée est tapie en moi et elle va éclore sous la douche. Mes grandes idées me sont venues sous la douche ! Allongé - marchant - dans la douche : ce sont les trois positions importantes pour moi de l’écriture d’un film. Je ne m’asseois que pour mettre au propre mes idées. Quand on procède de cette manière, c’est difficile d’écrire de manière académique. Par exemple, je ne peux pas faire une biographie - une fiche de police ! - des personnages... Tout se met en place de manière presque inconsciente. C’est comme un chaos qui s’organise comme un puzzle. Je suis un écrivain qui passe par la rêverie. Je n’ai pas de préjugés. Pour mon film précédent, "Le sourire du serpent", qui raconte l’histoire de deux personnages dans la nuit, qui attendent un bus, mon cerveau a été traversé par la chevauchée d’un cheval. Je ne sais pas où ce cheval m’amène, mais je le suis jusqu’à l’endroit où il m’amène. Je ne juge pas. Je suis. Ensuite, je trie.

Vous prenez des notes pendant ce processus de... gestation ?

Prendre des notes, c’est moins douloureux que de se mettre à sa table pour écrire officiellement un scénario. Je mets ces notes dans une enveloppe et je vois cette enveloppe grossir, comme un ventre qui grossit ! A la manière dont enfle l’enveloppe, on voit arriver le corpus d’un film. Et je fais cela pour plusieurs films en même temps. C’est la manière la moins douloureuse que j’ai trouvée pour amortir le choc douloureux de l’écriture.

Mon travail d’écriture est marqué du sceau de l’anarchie. Il y a un ordre qui est induit, mais que je ne connais pas au départ. Les pièces s’emboitent par miracle, le processus se fait presque à mon insu. Je porte, consciemment mais aussi inconsciemment mon sujet, j’habite ce sujet, les élements me viennent par bribes, je ne sais pas comment. Ce sont des passagers clandestins qui entrent par tous les pores. Je suis habité, petit à petit, par imprégnation. Je préfère que cela me vienne de cette manière que de m’imposer la violence d’écrire un scénario.

Pour "L’absence", une idée que je porte depuis quatre ou cinq ans, j’ai pris des notes pendant des années dans les cafés, dans l’avion, lors d’un dîner... J’ai conservé des notes sur des nappes en papier de restaurant... Avec cette hantise qu’une idée puisse m’échapper. Combien de fois, dans le métro, j’ai posé à quelqu’un cette question : "vous n’avez ps un stylo ?!". Une idée vous a visité, c’est une grâce qui vous a visitée, et quand c’est un vrai bombardement d’idées qui vous visite, si on a rien pour écrire, c’est la catastrophe !

Vous procédez avec des fiches ?

Pour chaque séquence, quand j’ai bien moissonné, je fais une fiche. Je sais qu’il me faut une centaine de séquences et après, je taille dans cette matière. Je vais ensuite tapisser le mur (ou le sol) de ces fiches. Elles restent là longtemps. J’essaie de mettre ces fiches en ordre. Je vais ainsi composer la trame, en veillant à ce qu’une dramaturgie s’esquisse. Je construis la chronologie en bougeant mes fiches jusqu’à ce que quelque chose de plus ou moins satisfaisant apparaisse. Je vois là les incohérences, je trouve des séquences qui permettent un trait d’union, un pont entre deux séquences. C’est le seul moment de l’écriture où j’ai une relative satisfaction !

Serait-il possible de travailler avec un scénariste ? Comment se passe la réécriture ?

Je n’écarte pas l’idée d’accueillir le travail d’un scénariste... mais... C’est tellement compliqué de travailler avec moi ! Comment ferait quelqu’un d’autre pour me suivre de 7 heures à 20 heures ! Et si la personne arrive à 20 heures, je ne sais pas si on se mettrait à écrire à 20 heures ! Collaborer avec moi, cela supposerait donc que la personne se nie ! Je serai incapable de combiner quelqu’un à ma manière de faire. Ce serait même pervers et sadique. Je me sado-masochise moi-même ! Je ne peux pas utiliser la plume et l’imaginaire de quelqu’un d’autre pour écrire ce qui m’est le plus intime. Je suis un scénariste par défaut, comme je faisais toujours mes rédactions la veille, au dernier moment. Cela a donné pas mal de nuits blanches.

De la même manière, un mauvais élève ne revient jamais sur sa copie. Une fois que j’ai écrit, c’est comme si je voulais me débarrasser du bébé. Et donc, soumettre le texte à d’autres regards, retravailler, c’est une souffrance terrible ! C’est comme si on me demandait de refaire ma rédaction !

Et écrire pour la télévision ?

J’ai essayé il y a quelques années de travailler pour la télévision. Mon ami, Mouss Diouf, m’avait souvent encouragé à écrire pour la télévision. Un jour, une importante maison de production est venue me chercher, après avoir lu l’un de mes scénarios. C’est la première fois que j’ai essayé d’entrer dans la norme. Et je suis entré dans le cauchemar du mauvais élève. Il fallait écrire une bible, une idée, puis un synopsis, un traitement : un step-deal... Je n’ai pas pu m’y faire ! Ils ont été étonnés car je leur ai dit : "je vais écrire un scénario et après, j’en tirerai l’idée...". Ils se sont aperçus que je ne respectais rien. Les deux tiers du film devaient se dérouler dans un commissariat et je n’écrivais que des scènes en extérieur ! Je n’arrivais pas à entrer dans le moule. J’avais une idée presque méprisante de l’écriture télévisuelle, que je considérais comme moins intéressante que l’écriture cinématographique. Je n’ai pas pu donner suite. Et pourtant, j’étais ruiné par mon film précédent, la proposition tombait à pic ! Etre soutier, non. Etre maître d’oeuvre de tous les soutiers, encore moins. Je suis parti. Je suis trop vagabond pour tenir dans un cadre aussi structuré.

Vous disiez que vous enseignez aussi le scénario dans des ateliers ?

On me coopte souvent pour donner des formations au scénario. Je commence toujours par dire à mes élèves que je ne sais pas enseigner le scénario ! Mais je leur fais partager mon expérience personnelle. C’est en relation avec sa propre histoire. Certes, c’est plus simple d’apprendre quelques règles que de me suivre. C’est comme au ski, les élèves risquent de me suivre - sans jeu de mots - sur une piste noire ! Je décomplexe mes élèves par rapport à l’écriture, je leur suggère de se trouver, eux-mêmes. A la sortie de mes master-class, ils ont un sentiment de liberté. Je dis : "fermez vos livres, allez ailleurs apprendre, allez vagabonder !".

Propos recueillis par Caroline Pochon
26 mars 2009

  • Le 4 avril 2009 à 19:58

    Bonjour
    Cet article nous permet de voir comment travaille ces artistes africains qui donnent au cinéma ces chef d’œuvres. Expérience qui mérite quand même d’être vulgarisé en vue de faire sortir les cinémas d’Afrique des cinémas d’auteur et pourquoi pas, rentrer dans une logique d’industrie.

    L’Afrique n’a pas grand chose à donner au monde. Mais, culturellement, oui. Donc, regardons du côté du Nollywood, améliorons, enrichissons, et Mama, au prochain fespaco, tu nous donneras certainement un film magnifique.

    Bon vent (à partir de 20h :-)

    un cinéphile africain

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