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Abdoulaye Traoré Seydou
Publié le : lundi 16 février 2009
Rencontre avec un producteur de la nouvelle génération






Je suis producteur exécutif chez Granit film, une société qu’Alain Gomis et Newton Aduaka ont créée en 2007, en association avec Delphine Zing et Valérie Ozouf. Je m’occupe plus particulièrement des films d’Alain Gomis. J’ai commencé en 1996 dans l’exploitation cinématographique, à Lyon, pendant quatre ans. Ensuite, je suis venu à la production. J’ai travaillé avec Issa Serge Coello ("Tartina city"). Ensuite, j’ai rejoint Dominante 7, une société de production de documentaires, qui était spécialisée dans les films sur les minorités, qui faisait beaucoup de films en Afrique. J’ai collaboré avec Mahamat Haroun Saleh ("Abouna", "Darratt"...). J’ai suivi un processus d’assistant de production à directeur de production, jusqu’à maintenant, devenir producteur exécutif, sur le projet d’Alain Gomis.

Est-ce que tu te considères comme un producteur africain, ou de films africains, est-ce que le critère africain est un choix qui traverse tes rencontres de cinéma ?

Je ne me considère pas comme un producteur africain du tout. C’est par affinités, par rencontres. J’ai aussi beaucoup travaillé en France. En Afrique, il y a un gros problème au niveau de la production et de la formation à la production : on n’a pas assez de producteurs sur ce continent. Donc, je me suis dit que ce serait bien d’apporter ma petite pierre, ma petite expérience et je me suis dit que plus on est, plus on sera forts pour affronter les enjeux de demain. Ce qui est important, c’est qu’avec Alain Gomis, Newton Aduaka, on est de la même génération. Je pense que c’est la génération qui arrive à trente cinq ans, Alain Gomis a fait deux films et Newton Aduaka a fait deux films, c’est le devenir.

As-tu le recul pour caractériser cette nouvelle génération de cinéastes dont le point commun est peut-être cet entre-deux, entre l’Afrique et l’Europe ?

Alain Gomis, est franco-sénégalais et a tourné ses deux long-métrages en Europe (l’Afrance et Andalucia - et un court-métrage, Petite lumière, au Sénégal-). Newton Aduaka, même s’il est Nigérian, a été formé en Angleterre. Ces jeunes auteurs ont été formés ici, en Europe et par un processus naturel, ils ne se posent pas la question de faire un film africain, cela vient naturellement. Le prochain film d’Alain Gomis se passe au Sénégal... parce qu’il a envie que cela se passe au Sénégal, ce n’est pas pour faire du cinéma africain ! Le prochain se passera peut-être aux Etats-Unis, je ne sais pas ! C’est un cheminement, sans vouloir se laisser enfermer dans un ghetto du cinéma africain, qui finalement est trop réducteur. Nous travaillons pour qu’on nous reconnaisse comme des professionnels du cinéma. Certes, on a une culture africaine, certes on fait du cinéma africain - mais français aussi ! - et c’est une richesse.

En termes de production, est-ce que cette notion de ghetto revient quand il s’agit de rechercher des financements ? Est-ce qu’il y a une spécificité pour un producteur dans la recherche de financements pour cette nouvelle génération de cinéastes ?

On ne va pas se voiler la face. De fait, pour les films qui se passent sur le continent africain - je préfère qu’on dise cela - , les télévisions, en France, n’en veulent pas, pour l’instant. A part Arte qui a fait un petit effort il y a quelques années et continue de temps en temps à financer des films qui se passent sur ce continent-là, mais Arte n’a pas beaucoup d’argent... Mais nous, au lieu de râler, de dire "c’est de leur faute, ils ne veulent pas de nos films", on est optimiste, on se dit qu’on va leur proposer de bons scénarios. On va aller voir Canal +, Arte, France Télévision et on va essayer de monter des co-productions internationales comme un film chilien ou comme un film français.

Tu parles d’une démarche cinéma, téléfilm. Es-tu prêt à aller de l’un à l’autre ? Est-ce qu’au cinéma, il n’y a pas plus de curiosité et d’ouverture, même de la part des chaînes hertziennes ?

Le prochain projet d’Alain Gomis est conçu dans une idée de cinéma, je ne vois aucune chaîne faisant des téléfilms, - peut-être Arte fiction et encore -, qui accepterait de financer ce genre de film. C’est particulier, il part vraiment dans l’espace cinéma, un espace un peu plus "libre" que l’espace fiction. Et ses propositions ne fonctionnent que dans un désir de production cinéma, de sortie salle cinéma. Sortir le film en France et en Afrique, faire la jonction. Sortir le film en Europe, en France, c’est important, même s’il ne sortira pas sur cent copies. On va le défendre. On a été formés comme cela, on a un désir de cinéma avant tout. C’est dommage que les chaînes de télévision financent le cinéma, qui retourne à la télévision après, puisque les chaînes financent une partie des films !
Je pense que le cinéma français a ce problème, les films tirent vers le téléfilm et on a de moins en moins de propositions de cinéma, au niveau formel ou au niveau des scénarios. Nous, pour caricaturer, le champ contre-champ, cela ne nous intéresse pas !

Radicalement cinéma... Ezra était pourtant un téléfilm Arte qui a eu une sortie salle.

Oui, c’est une exception. Arte sont les seuls à proposer à leurs téléfilms de sortir en salle. Mais ce n’est pas extensible, ils n’ont pas assez d’argent. Beaucoup de grands cinéastes viennent faire leurs films chez Arte, on est noyés dans la masse. C’est ce qui nous amène à une certaine radicalité. On essaie de financer nos films, ce ne seront pas des films à budgets de 10 millions d’euros ! On ne veut pas cela. On veut juste faire exister nos films, être libres, et les proposer en Europe, en Afrique, en Asie, et dans les festivals...

Quels sont les appuis institutionnels et commerciaux sur lesquels vous pouvez tabler ?

L’avance sur recette. On va essayer de trouver un co-producteur plus expérimenté pour proposer le scénario aux chaînes hertziennes, tout en cherchant les partenaires habituels pour les films qui se passent en Afrique, le Ministère des Affaires Etrangères, la francophonie, le fonds sud (qui est lié à l’avance sur recettes - il faut choisir entre les deux). On ne se met pas dans des niches en se disant : "on va récolter 300.000 euros en additionnant la francophonie, le fonds sud et un peu d’Hubert Bals" ! Non, on part dans une ambition classique de cinéma.

Est-ce qu’aux yeux des financeurs, le cinéma d’Alain Gomis trouve une spécificité, une écoute particulière. Tu disais que vous êtes noyés dans la masse mais au contraire avec des personnages noirs, vous sortez du lot.

Alain Gomis a fait Andalucia sans l’appui d’aucune chaîne de télévision. Paradoxalement, je pense, je l’espère, que son prochain film, qui se tournera au Sénégal, aura peut-être l’appui d’une chaîne de télévision. Parce qu’ils préfèrent filmer les Noirs sur le continent, - chez eux, entre guillemets -, que filmer les Noirs en France. Et même s’il y a quelques exceptions avec le film de Mahamat Saleh Haroun "Sexe, gombo et beurre salé" ou le prochain film de François Dupeyron "Aide toi et le ciel t’aidera", filmé dans la communauté africaine, noire en France, c’est en fait très difficile en France de montrer ce qu’ils appellent la diversité.

La notion d’exotisme peut-elle être un plus aux yeux des financeurs ici ?

Oui, ce n’est même pas une question d’exotisme, c’est de parler de problème qui ne touchent pas le pays, finalement. C’est plus simple. On peut dire : "ah, les pauvres, là-bas, ils souffrent"... Cela reste un film urbain, contemporain, ce n’est pas un film qui se passe au dix-neuvième siècle en Afrique ! J’ai l’habitude de dire qu’en France, on adore les films de Ken Loach, mais on refuse de financer les Ken Loach français ! Quand on entend les louanges pour le travail de Ken Loach. Mais ici, on a les mêmes problèmes qu’en Angleterre. C’est la même chose, si ce n’est pas pire. Je dis pas que cela n’existe pas, mais c’est rare.

Andalucia a été assez mal distribué en France.

Les financiers n’ont pas compris Andalucia. Autant L’Afrance a été à Locarno, il a eu le Léopard d’or, Andalucia n’a fait aucun gros festival. La proposition d’Alain Gomis était peut-être trop en avance. Ce n’est qu’après que les gens ont dit que le film avait quelque chose d’unique, que c’était un très beau film, tout simplement.

Peut-être une manière de se placer ou de se déplacer qui était intelligente. On attend d’un réalisateur noir qu’il nous parle des Noirs...

Andalucia va peut-être nous permettre, dans nos démarches, d’arrêter les chaînes de télévision de faire des quotas - de fait.

La distribution : quelle est ta manière d’aborder cette question. Beaucoup de films se financent sans distributeurs et sont ensuite très mal distribués. On parle aussi toujours, en Afrique, d’un gros problème de distribution. Quelle est ta position sur cette question ?

On est en train de se poser la question de la distribution. On aimerait travailler avec des distributeurs indépendants moyens, pas des gens qui se foutent du film ! mais qui aient envie de proposer autre chose. Pyramide, Océan film... J’espère que notre projet les intéressera. Pour la distribution en Afrique, c’est une grosse question, c’est une catastrophe. Il n’y a plus de salles. Il faut donc repenser la distribution, faire comme on a fait en musique. Beaucoup de producteurs s’allient avec des distributeurs à la sauvette, ceux qui piratent ces CD et les vendent sur les marchés. En Afrique, la salle n’est pas très importante, pour l’instant. Les CCF font un travail, mais il n’y a pas de salles. Les films sont diffusés dans les cours, dans les concessions, sur un écran, ça se passe de la main à la main... On n’a pas d’idée au niveau des pays francophones.

Et l’expérience à la Nollywood, au Nigéria ?

Deux problématiques sont différentes. Au Nigéria, ce sont des anglo-saxons, il y a donc une différence de langue, et il y a le problème de la qualité des films. Cela ne m’intéresse pas de faire pour faire. De faire 100.000 entrées dans trois pays d’Afrique, cela ne m’intéresse pas. Le film doit pouvoir vieillir, être revu dix ans après. Je voudrais ramener le discours vers le désir de cinéma parce qu’on ne parle même plus de cela, sur le continent africain, on parle juste de faire des films, on demande : "est-ce que vous allez concurrencer Nollywood ?". On ne se pose même plus de questions sur la qualité des films. Il y a des histoires à raconter. Il y a de jeunes auteurs qui sont très bons.

Y a-t-il de jeunes talents que tu voudrais produire ?

J’en connais un ou deux. Mais la nouvelle génération a changé beaucoup de choses. De fait, il y a beaucoup de gens qui font du cinéma, qui veulent en faire en Afrique. C’est un apprentissage, comme au Nigéria. Dans tout ce système, il y en aura un ou deux qui vont émerger et qui seront très forts. Ce sera deux, mais c’est déjà ça. Et ces deux vont petit à petit basculer vers le cinéma avec une plus grande rigueur au niveau des scénarios, de la mise en scène, et une dimension universelle. Ce n’est pas un problème qui ne concerne que l’Afrique. La France a le même problème : il faudrait que le film puisse intéresser aussi bien un Canadien, un Inuit, un Chilien. C’est ce qui est important. On travaille sur cette dimension universelle. On n’est pas dans des discours théoriques - une exigence, quand même -, mais nous recherchons cette dimension universelle.

Et le modèle américain ?

Les Etats Unis sont très pragmatiques. Ils ont investi dans la recherche. Ils ont toujours gardé un oeil sur les réalisateurs underground. Qui après, rejoignent Hollywood. C’est une question de rentabilité. C’est une autre mentalité.

Le système français...

...est un peu... incestueux. On reste à Paris, on reste entre nous à Paris. C’est un problème. Pour les gens qui font des films en région, ils ont du mal à faire leurs longs métrages. Ils sont obligés de venir à Paris. Tout est centralisé, c’est pour cela que le cinéma français ne représente même pas la France. Le cinéma est "bourgeois" ou alors social, mais caricatural : on regarde les pauvres comme des animaux au lieu de les aimer. On les étudie. Ce n’est pas forcément un problème de financement. C’est un problème de... consanguinité, de manque de curiosité. Parmi les films français qui sont sortis cette année, il n’y a pas tant de films qui sortent du lot. Et même s’ils ne font pas d’entrées, on en parle, parce qu’ils ne sont plus dans des appartements bourgeois du septième. Ils ont assimilé les anciens, ils vivent avec leur temps. La France commence à être colorée, quand même ! Un problème que j’ai aussi, puisque Obama a été élu, il n’y a pas de réalisateur noir français. Je n’en connais pas. Symboliquement, c’est assez lourd. Il y en a venus du Maghreb, de plus en plus. Certes, ils sont là depuis longtemps. Je suis content. Mais des Français d’origine d’Afrique noire réalisateurs : il y en a très peu. Qu’est-ce que ça veut dire ? On nous a toujours dit : "c’est de votre faute, vous n’avez jamais voulu aller, là"... comme quand on nous dit : "vous ne voulez pas entrer dans les grandes écoles". On nous a toujours dit que c’est de notre faute. Avec un peu d’expérience dans le milieu, je me rends compte que c’est un peu plus compliqué que ça et j’espère que cela va évoluer. Ces gens-là ont aussi un point de vue à développer. Pour les Américains, tout n’est pas rose chez eux, tout est basé sur le problème racial, ils l’ont un peu compris. Quelques cinéastes des "minorités" émergent, que ce soit latinos, noirs-américains... En France, je n’en connais pas beaucoup qui font des longs métrages.

Propos recueillis par Caroline pochon

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