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Pas avoir le regard lisse
Publié le : vendredi 10 octobre 2008
Entretien avec Alice Diop, réalisatrice de "les sénégalaises et la sénégauloise"

Pourquoi ce film ?

Je voulais faire un film sur les femmes africaines depuis longtemps mais je ne savais pas par quel biais. Lors d’un retour au Sénégal, pour l’enterrement de mon père, j’ai été surprise par la dichotomie entre ce que disent les femmes en public et la réalité de leur vie intime, et aussi, les fantasmes que j’avais sur leur vie là-bas. Je suis entrée dans le gynécée de mes cousines. Elles sont ce que j’aurais été si mes parents ne s’étaient pas exilés en France. J’ai vécu en France, je ne suis allée au Sénégal que trois fois, je ne parle pas wolof. J’ai donc regardé ces femmes avec la place qui était la mienne. Avec une distance, une extériorité, et j’espère, pas d’ethnocentrisme.

Quel parcours cinématographique mène à ce film ?

Mon premier film a été tourné dans un immeuble en Seine Saint Denis où j’ai grandi. Ce sont des portraits de familles immigrées. Mon deuxième film a été tourné près de Clichy Sous Bois, après les émeutes de 2005. J’ai tenté d’analyser les violences symboliques et silencieuses qui ont amené aux émeutes. Il a été diffusé sur France 5. Aujourd’hui, je prépare le portrait d’un jeune homme des quartiers.

"Les sénégalaises et la sénégauloise" est mon troisième documentaire. J’ai toujours travaillé avec Luc-Martin Gousset, de Point du jour et c’est dans la ligne d’un travail commencé ensemble il y a plusieurs années. J’ai participé à un atelier d’écriture à la FEMIS. Arte a d’abord été intéressé, mais ils se sont vite désistés car ils "avaient déjà fait un film sur l’Afrique" ! C’était sur les enfants soldats... Puis, j’ai rencontré la chaîne Voyage et cela a été une collaboration cool, agréable, avec beaucoup de liberté. Le film a été diffusé sur Voyage en décembre et en mars 2007. Il a circulé dans quelques festivals.

Quelles sont les réactions du public ?

Pour le public français, c’est un film intéressant. On y découvre qu’il n’y a pas forcément de soumission chez ces femmes qui sont partie prenante du système de la polygamie. Mais les réactions au Sénégal ont été parfois violentes. Cela a fait quelques remous, mais ça se tasse aujourd’hui. Je ne suis pas en difficulté avec ma famille. On m’a reproché de montrer une parole de femmes aussi libérée. La société sénégalaise est très codifiée. La sexualité, le maraboutage, tout le monde le vit, mais ça ne se dit pas publiquement ! L’intimité des femmes est secrète. La manière dont elles s’accommodent de la polygamie, tout cela ne doit pas être dit ! Cela m’a renvoyée à ma naïveté et à mon éloignement culturel ! Mais pour moi, faire que la parole intime devienne publique, c’est aussi la fonction du documentaire. Pour questionner une société, il faut accepter de ne pas avoir le regard bien lisse de la Teranga !

Propos recueillis par Caroline pochon

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