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Boy Dakar
Publié le : vendredi 30 mai 2008
Laurence Gavron, Le masque, 2008

A vos plumes les scénaristes !... Un roman à adapter pour un polar haletant dans les milieux dakarois, introduits & populaires... ou tout simplement une fresque vivante qui peut se lire à travers les lignes, à travers les scènes, un short-cuts sur Dakar comme Robert Altman avait fait sur Los Angeles :



Avec cette fresque dakaroise, Laurence Gavron, qui vit au Sénégal et que nous connaissons déjà pour être l’auteur du magnifique portrait de Djibril Diop Mambéty Niki Nanka, le prince de Colobane, ou encore de portraits de plusieurs célèbres griots sénégalais, nous plonge dans une ambiance purement sénégalaise et urbaine, qui va des bas-fonds au sommet de l’Etat.

Autour d’une intrigue qui mêle le monde de la politique au monde de la religion, et en particulier de la confrérie très particulière des "baye fall". Ici, un marabout mouride à la tête d’une milice de "baye fall"s, devient gênant pour le pouvoir et est assassiné.

Autour de ce meurtre, la romancière développe une foule de portraits chatoyants, quotidiens pris sur le vif et bien réels de gens de Dakar. On passe de Fann et ses quartiers résidentiels où vivent des petites bourgeoises comme Fatim l’amoureuse aux clandos cap-verdiens de Patte d’Oie où s’égare Gaétano, l’homme de main, on parle wolof avec l’accent, mais aussi sérrère, portugais et vietnamien... Une jolie mendiante muette embarquée malgré elle dans une intrigue criminelle séduit plusieurs hommes partie-prenante du crime... Un homme politique cynique contre un autre homme politique cynique, bien que gentleman... Bref, dans ce roman kaléidoscope, on plonge dans toutes les strates, toutes les subtilités de la société dakaroise. On devine les liens occultes entre pouvoir et religion, on voit comment les castes sont à l’oeuvre, on sent le poids de la famille mais on entrevoit aussi la misère, qui côtoie de bien près une insolente opulence...

On peut reconnaître à Laurence Gavron qu’elle sait faire vivre son univers, qu’elle y circule comme un poisson dans l’eau. Même s’il est publié comme un policier, ce n’est pas forcément l’intrigue policière qui fait sa qualité principale mais surtout un certain réalisme social, plein d’humour et de finesse, qui fera découvrir à beaucoup les arcanes de cette ville fascinante et peu décrite dans sa réalité contemporaine :

( page 242 ) "mais que faire ? Par où commencer dans un pays où la corruption des uns était équivalente, sans aucun doute, à la misère des autres, où une population non éduquée, mal ou pas soignée, analphabète mais néanmoins vive et intelligente se débrouillait tant bien que mal pour vivoter, "goorgoorlu" comme on disait ici, c’est à dire se débrouiller, "sénégalaisement", chacun pour soi et Dieu pour tous, au prix de multiples combines..."

Le livre se lit facilement, avec plaisir. Il fait découvrir. Il a gardé de la tradition du roman noir un certain regard sur la société. Ici, le regard de Laurence Gavron est celui d’une étrangère qui a été initiée, ce qui lui donne sa particularité. Du roman noir, on joue aussi avec plaisir et délectation, sur certains clichés, comme ce flic looseur amateur de gros culs. C’est une fresque ambitieuse et même si tout n’a pas pu être dit sur les problèmes entre pouvoir et religion, sur la corruption et ses réseaux, du moins c’est une approche qui révèle un véritable regard. Et un véritable amour pour cette ville.

Caroline Pochon

Edition Le masque, 2008 (341 pages)

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