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"Mange ceci est mon corps joue avec l’imagerie du christianisme"
Publié le : vendredi 25 avril 2008

Mange, ceci est mon corps






Le film
Le film procède par association de séquences dont la charge symbolique et métaphorique est maximale, comme dans un rêve. La puissance de l’évocation est à l’état pur. Très peu de mots, ou des mots qui reviennent en leitmotiv, en litanie, en liturgie. Une île dont on découvre le paysage aride, sur une musique free jazz. Et l’eau qui s’écoule. Une femme noire en train d’accoucher. Une fête vaudou où des gens se déchaîne. Des Noirs. Une belle demeure isolée qui semble perchée au milieu de cette île. Une vieille femme blanche dont le visage est filmé en très gros plan et qui regarde le spectateur comme sans le voir en disant qu’elle est fatiguée de donner. Des petits Noirs à la queue leu leu entrent dans la demeure. Ils y sont rasés, lavés, habillés et invités à une table mise où une femme blanche, plus jeune, étonnante Sylvie Testud dans ce rôle difficile où elle travaille sur le silence et l’incarnation corporelle, sans narration ni dialogues traditionnels, les reçoit et s’excuse de les avoir fait venir car elle n’a rien à leur offrir à manger. Selon un protocole étrange dont nous sommes les spectateurs malmenés, Madame apprend aux enfants à dire "merci". Plus tard, on verra ces enfants se gaver d’un gâteau qui leur a été laissé finalement sur la table. Plus tard encore, on les verra plongés dans une marmite de crème... crème dont on verra se nourrir au biberon Madame. La vieille, la jeune. On va découvrir qu’elles sont mère et fille et qu’elles règnent seules sur ce royaume métaphorique, onirique, aussi cruel qu’un rêve ou qu’un conte d’Andersen.

Toutes ces activités domestiques ont lieu sous le regard d’un domestique, dont nous partageons en silence et à distance l’intériorité et l’intimité. Quand il regarde en voyeur, est-ce Madame qu’il regarde se mettre au lit avec désir ou bien est-ce son propre reflet dans un miroir ? Va-t-il se passer quelque chose entre Madame, si seule, et Patrick, si jeune et si beau ? La mort de la vieille ? Que ne nous a pas montré ce malin de Michelange, qui fasse que soudain, le monde de Madame s’écroule et qu’elle ose sortir de la demeure et errer au milieu du peuple de son île, un peuple Noir qui ne la comprend pas et où elle n’a pas une place ?

Madame est attirée dans cette errance par les cris d’un nouveau né. Il est Noir. Elle le prend dans ses bras, -madonne blanche pour bébé noir-, ses seins n’ont pas de lait (ce même lait dont elle se nourrit), l’enfant ne cesse de crier, dans un long plan où le temps se suspend. La beauté sera convulsive ou ne sera pas, disait André Breton. A la fin de ce récit fait de juxtaposition de tableaux étranges et pourtant si chargés de sens pour qui veut bien les lire, les enfants noirs occupent la maison de Madame et jouent avec des bazoukas. Des jouets ? Un jeu ? On retrouve Madame allongée au bord de la mer, au pied d’une île verdoyante qui pourrait être Haïti même si le film, à aucun moment, n’a pas désigné cette dernière. Morte ? Rejetée par la mer ? Des enfants font une ronde macabre autour de son corps. La dernière image est sur le visage de Patrick, dans le clair obscur de sa chambre.

Critique

Mange ceci est mon corps joue avec l’imagerie du christianisme, son lyrisme est à la fois détourné et magnifié : la madonne à l’enfant, les phrases liturgiques... Il envoûte et vaudouise avec notre imagerie de Blancs, il gifle froidement notre conscience de Noirs. Il brouille les cartes, ce garnement. Aussi iconoclaste que fervent.




En toute liberté, le film marie les genres... documentaire, fiction. Il n’y a pas de vraisemblance, pas de narration, pas d’incarnation, pas même de point de vue puisque le spectateur passe d’un acteur à l’autre sans jamais se sentir vraiment "dedans". Et pourtant, ce cinéma à huis clos nous parle avec beaucoup de justesse et d’audace du monde dans lequel nous vivons : rapports nord-sud à décliner ad libidum et même en rêve, tant ils en deviennent obsédants.

Alors évidemment, il y a des moments où on s’ennuie, où l’on rejette la proposition un peu godardienne de ce jeune cinéaste talentueux mais au fond peut-être prétentieux, on refuse de s’inscrire dans cette durée, qui rappelle finalement plus la déprime slave d’un Tarkovski que les couleurs chatoyantes de l’Afrique, bref, on est amené à réfléchir, à associer, à se laisser tantôt séduire, tantôt agresser par cet objet filmique non identifié.

Caroline Pochon

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