Accueil > Archives > 2008 > Décès de Sembène
Décès de Sembène
Publié le : samedi 6 septembre 2008
Clap Noir lui rend hommage

J’ai découvert le cinéma de Sembène Ousmane il y a une dizaine d’années, quand le Cinéma des Cinéastes lui a consacré une grande rétrospective. Camp de Thiaroye (1987) a été un choc. Il racontait une page d’histoire sanglante (la répression d’une mutinerie de tirailleurs dit sénégalais à la fin de la guerre de 1939-45) que moi, historienne du XXème siècle de formation, je ne connaissais pas !
Autre choc, La Noire de… (1966), dans laquelle Sembène Ousmane s’affirme dans les années soixante, à l’époque de la nouvelle vague, comme un vrai cinéaste de la nouvelle vague. Même économie de récit, même élégance filmique. Mais avec une charge politique tellement plus forte que les films de Rohmer ou même de Truffaut, bref, de ses contemporains de l’époque ! Je découvrais l’injustice néo-coloniale grâce à Sembène. Elle n’était pas dans les livres.

Après chaque film, il arrivait avec son costume marin et sa pipe, l’oeil vif et goguenard, aussi pertinent et impertinent à la fois que le sont tous ses films.

Sembène Ousmane a ensuite été pour moi l’une des portes d’entrées vers le cinéma africain. Regard sur la société, regard toujours politique, quel que soit le sujet choisi. Son approche marxiste n’est jamais dogmatique, elle nourrit sa satire. On a l’impression que tout ce qui passe sous l’oeil de Sembène va être mis à nu.
J’ai aimé et admiré son humour féroce, dans lequel les Sénégalais se sont tant reconnus, notamment avec le célébrissime Mandat, portrait génial des contradictions de la famille sénégalaise.
Découvert plus tardivement que les autres, Borom Sarrett (1963), son premier film, qu’il dit inspiré du néo-réalisme italien, porte déjà en germe toutes les ramifications du talent de celui qui s’auto-proclamait "l’aîné des anciens". Iconoclaste, le film est impertinent envers les riches, les pauvres, il épingle la bêtise humaine dans ce conte. Il égratigne le religieux, l’ambitieux, le naïf. Il en profite pour établir des rapports de force dans la ville où le Blanc domine le Noir. Sembène, c’est Marx qui aurait lu Molière et Montesquieu !

Sembène m’a fait découvrir l’histoire du Sénégal et plus largement de l’Afrique, avec des films documents comme Ceddo (1977), qui montre sans concessions comment l’Islam s’est imposé au détriment des traditions wolof. Le film a eu des problèmes avec le gouvernement sénégalais pendant des années. Sembène aimait dire de lui-même qu’il était un de ces irréductibles "ceddos " (les guerriers wolofs).
J’ai vu et revu Xala (1975), une comédie de satyre politique où Sembène s’en prend aux élites politiques des indépendances, sur fond d’imbroglio polygame. Là encore, brillamment, cruellement, tout est montré : l’hypocrisie et la corruption de ces élites, leur naïveté, leur amateurisme, leurs liens indestructibles avec de vieilles traditions qu’ils prétendent éradiquer.
Il y a eu d’autres films : Emitaï, Guelwaar, Faat Kiné et le dernier Mooladé où l’auteur s’est attaqué à la tradition de l’excision. "L’Afrique est une belle garce, mais c’est ma mère" disait-il lors d’un entretien à RFI. Ce libre penseur, fin politique doublé d’un humoriste m’a fait découvrir son Afrique, toujours à rebrousse-poil. Il m’a aussi donné la "niac" pour que mes films puissent un jour avoir la même exigence que les siens : dénoncer les injustices mais sans jamais porter allégeance et toujours avec cette ironie mordante qui le caractérise.

Caroline Pochon (Clap Noir)

Également…
1

Clap Noir
Association Clap Noir
18, rue de Vincennes
93100 Montreuil - France
Tél /fax : 01 48 51 53 75