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Deux documentaires sur les pères :
Publié le : dimanche 8 février 2009
Ouled Lénine et Nos lieux interdits



Cette génération écartelée et malmenée par des destins douloureux, une génération pour qui la politique l’a emporté et qui l’a parfois payé de sa vie, en tout cas, de sa vie privée, certainement, est décrite également par deux documentaristes venues du Maghreb. Dans les deux cas, ce sont des femmes jeunes qui prennent la caméra pour interroger la génération de leurs pères.

Nadia El Fani, dans Ouled Lénine, fait une merveilleuse déclaration d’amour à son père, militant communiste en Tunisie pendant la période des années 60-70. Elle trouve une très juste, très honnête place pour dresser une analyse de la vie politique tunisienne. Son regard balaie depuis les années trente (36, dit l’une des personnes témoins), avec la montée de la vague communiste, pour décrypter les relations en Tunisie, notamment dans le milieu étudiant, entre les idées communistes et le mouvement indépendantiste, vainqueur en 1956, jusqu’à une réflexion sur l’islamisme en politique, favorisé par le pouvoir dans le cadre de la lutte anti-communiste depuis le milieu des années soixante dix et aujourd’hui phénomène incontrôlable. Un film brillant, d’une intelligence humaine chaleureuse. Militants et militantes, très bien choisis, passionnants à écouter, sont filmés avec une empathie dépourvue de naïveté. Ils brossent par petites touches, une histoire lumineuse de la Tunisie des années d’indépendance. C’est un film où la première personne n’amène ni narcissisme, ni nombrilisme, mais au contraire impose le regard porté sur l’autre comme une évidence

Lieux interdits

Le documentaire de Leila Kilani, Nos lieux interdits, plus sombre et plus douloureux, fait écho à celui, plus solaire, de Nadia El Fani. La réalisatrice a suivi dans un film d’1h44 la commission pour l’équité et la réconciliation mise en place au Maroc en 2004 par le roi Mohammed VI après le décès de Hassan II. En effet, au Maroc, durant les années soixante - soixante dix, le gouvernement a torturé et même fait disparaître un nombre important d’opposants politique. On retrouve parmi eux beaucoup de militants communistes. Là, comme en Tunisie, on voit qu’a sévi une importante répression anti-communiste.
La réalisatrice s’est intéressée au point de vue des victimes et de leurs familles. On voit donc une épouse éplorée, un fils fragile en quête d’une sépulture pour son père, des filles ou des nièces fatiguées de vivre dans la peur, de souffrir, ou de voir souffrir leurs pères. De ne pas comprendre.
Quand ils prennent la parole, les militants pourchassés par le régime sont des hommes brisés. Bien plus que les militants du film de Nadia El Fani et plus encore que Amberber en Ethiopie. On retient le portrait de cet homme vivant reclus après un long internement psychiatrique et qui passe son temps à dire que sa vie n’a servi à rien.
Le film est habité par une douleur sans échappatoire qui finit par rendre le film étouffant, sans espoir. On pourrait aussi reprocher à la cinéaste de ne pas avoir su prendre de recul en restant ainsi toujours en empathie avec les victimes, de ne pas s’être vraiment interrogée sur la signification politique de cette commission de la vérité. Cependant, voir ce film avec les autres permet de mieux comprendre à la génération des jeunes les drames le prix qu’on payé les pères.

Jeunesse en exil aujourd’hui : GRAINES QUE LA MER EMPORTE - BARCA OU LA MORT
Le lien Nord-Sud traverse aujourd’hui de mille manières la jeunesse africaine. C’est bien sûr le cas des garçons sénégalais de dix ans qu’a filmés El Hadji Samba Sarr dans un documentaire coup de poing et poignant : Graines que la mer emporte. Filmé à l’arrache et dans l’urgence auprès d’enfants qui eux aussi sont pris dans l’urgence, la colère, la transgression. Ils sont originaires de la banlieue pauvre de Dakar, leurs parents ont cassé leur tirelire pour leur payer une place sur une pirogue en partance chaque nuit pour l’Espagne (400.000 cfa soit presque l’équivalent d’un mois de salaire). Ils se retrouvent ensemble en Espagne, dans un centre d’hébergement. Perdus et espérants. Un coup de fil de l’un d’eux à sa mère nous arrache des larmes et le film entretient la colère. Pourquoi cela ? Pas de point de vue politique mais un constat dur et violent, par un cinéaste sénégalais qui filme sans compromis.

Son film dialogue avec celui d’Idrissa Guiro, cinéaste franco-sénégalais, Barça ou la mort (dont Clap Noir a déjà parlé) qui évoque de manière plus construite, plus poétique et peut-être plus insistante d’un point de vue africain le rêve sénégalais du voyage en pirogue vers l’Espagne et les drames que cela engendre. Derrière ces deux films, on trouve la misère dans des familles de pêcheurs où les jeunes garçons, les jeunes hommes, se voient quasiment structurellement condamnés à l’exil. Deux films à voir pour comprendre la problématique de l’immigration clandestine, du point de vue de ceux qui partent.

La jeunesse, elle est ici, elle est ailleurs. Le festival voit émerger des cinéastes jeunes qui filment une jeunesse qui dialogue avec leur expérience

Chez moi ou ailleurs
Jeunesse en France
Angela Terrail, dans un joli court-métrage documentaire art-et-essai Chez moi ou ailleurs, dans lequel le décalage entre une image dépouillée et des entretiens en voix off renforcent l’intensité des témoignages, a rencontré quelques jeunes filles d’origine malienne ou sénégalaise vivant en France et les a interrogées, sans pathos et loin des clichés sur leur quotidien, leur vision du monde, l’image qu’elles ont de la France, l’image qu’elles ont de l’Afrique.

Djamel Zaoui, dans son ABCdaire du jeune lascar périphérique, a filmé avec peu de moyens, une petite équipe de comédiens, quelques images d’archives, beaucoup d’énergie et d’inventivité, de l’humour et de la pertinence une réflexion ludique sur les clichés qui circulent sur le thème des banlieues et des enfants de parents immigrés, à la manière du dictionnaire des idées reçues de Flaubert. Darons - Cité - Karcher - Faciès - Galère...

Caroline Pochon

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