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Un affreux-sales-et méchants sudaf
Publié le : jeudi 12 février 2009

Autre regard voyageur, celui que porte le cinéaste zimbabwéen Mickael Raeburn sur les "petits blancs" d’Afrique du Sud, encore appelé les "white trash". Ils sont peut-être ce que les Chtis ont eu un moment la réputation d’être en France : pauvres, dégénérés, consanguins, obtus, tarés !... et racistes ! Mickael Raeburn ne les aime pas beaucoup, ces petits blancs. Lui même est un réalisateur africain blanc, exilé en France car il a soutenu les mouvements indépendantistes noirs au Zimbabwe dans les années quatre-vingt. Il connaît bien ce milieu et il a un compte à voir avec eux, qu’il regarde sans tendresse mais avec un effarement sarcastique. Le festival d’Amiens rend hommage à ce film outsider - car parler des Blancs en Afrique est prendre une position d’outsider, cependant courageuse et indispensable - en lui offrant une mention spéciale du prix Signis.

Dans ce film au genre inclassable, car ce n’est pas vraiment une comédie - ou alors très très grinçante - , pas non plus un drame social à la manière du cinéma anglais car il a une dimension onirique tendance gore, (notamment quand le personnage principal se met à avoir des visions de rats) il est question de la schizophrénie d’un garçon de 21 ans qui vit avec son loseur chômeur de père, sa victime de mère et son jeune oncle, qui lui voue une haine extraordinaire. Assez vite, on voit - dans une scène très crue - que ce garçon couche avec sa mère, au vu et au su de tous. Peu après, on apprend au détour d’une réplique que la mère, tout le monde lui est passé dessus : le père, le fils et même le frère. Vous avez dit consanguins ?

Ce personnage principal improbable est pourtant assez attachant, malgré les mauvais traitements que lui fait subir le réalisateur. Mais quand il acquiert un pistolet au début du récit, on ne peut s’empêcher d’appréhender un gros drame. Le drame viendra plus tard, après moult péripéties sordides, moult interactions racistes avec des voisins aux peaux un peu trop colorées et la révélation d’un abominable secret de famille qui finit dans un bain de sang. Pendant ce temps, régulièrement sur un écran de télévision que le protagoniste tente de détruire au début du film, ce qui n’empêche pas, semble nous dire Mickael Raeburn, la réalité de continuer d’exister, les élections sont en train de porter au pouvoir Nelson Mandela et des révoltes noires explosent joyeusement dans le pays de l’apartheid. Le film se déroule en 1994.

Quelques jolies scènes heureusement, nous sortent de cet enfermement délétère : la mère, très bien campée par Vanessa Cook, et le père sont pris dans une manifestation de Noirs et tandis que le frère prend peur et reste enfermé dans sa voiture, elle et son mari entrent dans la danse, d’abord maladroitement, puis de manière vivante et libératrice.

Parti pris intimiste bien tenu pour faire une histoire contemporaine de l’Afrique du Sud, un pays que le réalisateur connaît bien, qui va à rebrousse-poil des idées reçues. Misère, folie et médiocrité de ce monde des "petits blancs" dérangent et mettent mal à l’aise. On a du mal à rire de leur folie, on a du mal à partager leur souffrance, on n’entre jamais vraiment en empathie avec ces personnages d’Atrides peu glamour. Cet "affreux-sales et méchants sudaf’ " a cependant le mérite de montrer un milieu jamais montré au cinéma et d’y laisser s’exprimer haine, frustration, saleté sans aucune rémission. Peut-être ici, le point de vue du cinéaste zimbabwéen exilé en France a-t-il laissé échapper une colère et un ressentiment tout personnels. Une force supplémentaire pour le film.

Le point de vue de Michael Raeburn :
retour sur la société en Afrique du Sud


Les petits blancs d’Afrique du Sud
Le film se situe en 1994, au moment des élections qu’a remportées Nelson Mandela. Après quatorze ans d’indépendance, l’Afrique du Sud est une société fascinante, multiraciale, où il a des groupes, différentes tribus africaines (Zoulous, Zwanas etc), les Afrikans, les Afrikaners, des Indiens, quatre ou cinq millions de Métis, etc. Même les Blancs sont divisés, surtout entre les anglo-saxons et les Boers. Les Afrikaner sont des Hollandais qui ont fui les persécutions religieuses en Europe, se sont confrontés aux Zoulous, plus tard aux Anglais en arrivant en Afrique et ont gardé de leur expérience historique une mentalité d’assiégés.

Une famille métaphore de l’apartheid
On m’a donné le livre Triomph de Marlene Van Niekerk il y a huit ans en me disant que c’était un livre au sujet des "petits Blancs". J’ai dit : "quoi !? c’est fascinant (ironiquement), on va faire fortune avec ça !". Cela ne m’attirait pas du tout ! Mais j’ai lu le livre et j’ai découvert une chose extraordinaire. C’est l’histoire d’un groupe très marginalisé, incestueux, plein de rage et de frustration car rejeté par leur propre peuple, qui a honte de ces gens pauvre et inéduqués. J’ai trouvé là une métaphore pour évoquer la fin du monde des Boers, la fin de l’apartheid. Tout est basé sur l’histoire de cette famille qui n’a rien à voir directement avec l’apartheid, c’est une fable. Mais l’inceste de cette famille, c’est l’inceste de l’apartheid, c’est à dire un secret de famille, un mensonge. Et l’apartheid est basé sur un mensonge : "les Noirs ne sont bons à rien qu’à porter l’eau et couper le bois !" - voilà la philosophie fondamentale de l’apartheid. (...)

Accueil du film en Afrique du Sud
C’est perturbant, choquant mais l’accueil du film en Afrique du Sud est très positif. Toute la presse - de toutes les couleurs - est très intriguée par ce film. J’étais content de voir les journalistes sud-africains noirs aimer le film. Ils rient beaucoup. Il y a une certaine distance. Je crois que cela les amuse de voir des Blancs se comporter si mal puisqu’on leur a dit pendant des siècles que c’était eux les sauvages ! Ils sont soulagés. Dans la communauté Afrikaans, les libéraux sont aussi soulagés qu’on puisse aujourd’hui sortir un film aussi... sauvage mais certains sont très offensés. Certains sortent de la salle. Les métis, un milieu pauvre, violent, se marrent beaucoup. Je ne sais pas si l’humour passe. Je connais de gens qui n’ont pas pu rire. Certains sont choqués. L’écrivain du livre, Marlene Van Niekerk, a beaucoup ri en voyant le film.

Race et classe en Afrique du Sud
Il y a deux millions de gens comme ceux du film en Afrique du Sud. Le problème de l’avenir de l’Afrique du Sud n’est pas une question de race mais une question de classe. C’est cela qui m’a beaucoup intéressé : comment la lutte de classe peut être cachée derrière un racisme. Il y a un peuple pauvre et il y a des gens riches. En Afrique du Sud, il y a une nouvelle classe moyenne noire très riche. Certains sont milliardaires. C’est eux qui sont le plus attaqués dans leurs maisons. C’est une société très violente. C’est le pays au monde où il y a le plus de vols et viols par jour ! Et la distance entre riches et pauvres est en train d’empirer.

Caroline Pochon

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