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Entretien avec Jean-Marie Barbe
Publié le : jeudi 9 octobre 2008
Directeur des Etats Généraux du film documentaire de Lussas

Jeunes réalisateurs de documentaires en Afrique : candidatez au Master de Saint Louis !

Les Etats Généraux du documentaire de Lussas proposent cette année cinq court-métrages documentaires réalisés dans le cadre d’un Master de réalisation de documentaire à l’université de Saint Louis, au Sénégal. Le Master est une initiative qui s’inscrit dans le cadre d’Africadoc. Rencontre avec l’homme qui porte, depuis son village ardéchois, ce collectif.

Tout d’abord, qu’est-ce qu’Africadoc ?
C’est un projet qui a commencé il y a cinq ans visant à former des réalisateurs et des producteurs de documentaire en Afrique de l’Ouest. Nous accompagnons un tissu, qui deviendra peu à peu un réseau dans différents pays d’Afrique. Africadoc mélange avec détermination les différents pays africains. Nous repérons des réalisateurs ou producteurs qui ont déjà leur propre structure de production (ils peuvent déjà faire du clip, des films institutionnels pour des ONG, etc...) ou sont désireux de la créer. La production est pour nous le maillon indispensable au développement d’un tissu de réalisateurs en Afrique. Nous privilégions donc des couples réalisateurs-producteurs. Une fois par an, à Saint Louis, Africadoc organise sur quatre jours un forum - le tenk - , dans lequel une vingtaine de couples réalisateur-producteur (plus d’une dizaine francophones, 6 à 8 lusophones) présentent leur projet de documentaire écrit (et pas encore tourné). Des diffuseurs africains, européens et des producteurs indépendants sont conviés. L’esprit est de coproduire, de parrainer. Nous avons récemment élaboré une charte de la production équitable. (lien ci dessous).

Avant de présenter les projets au tenk, Africadoc offre des résidences d’écriture (une quinzaine de jours, 2 à 3 fois), qui ont lieu en petit groupe. L’étape de l’écriture est une étape privilégiée. C’est celle où la pensée se traduit par des mots, une écriture des intentions formelles, où l’on formule l’origine des intentions (politique etc), où se met en place une scénarisation... et c’est essentiellement sur cette étape de l’écriture qu’insiste Africadoc.
C’est ainsi qu’un projet comme "Une fenêtre ouverte" de Khady Sylla, proposé en tandem avec sa soeur productrice Mariama Sylla, a pu être accompagné dans l’écriture par Africadoc, produit ensuite par la productrice française Sophie Salbot qui, au tenk, a obtenu la coproduction d’Arte (la lucarne), chaîne qui a ensuite diffusé le film.

Quels sont les critères de sélection pour participer au tenk d’Africadoc ?
L’équipe d’Africadoc sélectionne les "meilleurs" projets. "Meilleurs", le mot est abusif ! Ce sont des projets qui nous semblent avoir une dimension universelle, pas des projets "localistes", pas des projets destinés uniquement à une télévision locale mais au contraire des projets susceptibles d’être diffusés ensuite par différentes télévisions africaines ou encore vus par d’autres publics, en Europe, notamment. Ce sont des films pour donner des nouvelles au monde de l’Afrique, mais aussi des films qui s’inscrivent dans le continent cinématographique mondial. Ils sont également choisis en fonction de la personne qui les porte car ce sont des auteurs que nous accompagnons.

Quelle est la formation que reçoivent les élèves du Master de documentaire de Saint Louis ?
Cette année, nous avons inauguré le Master de réalisation de documentaire, abrité par l’université de Saint Louis. La formation dure 10 mois, de novembre à juillet. Elle concerne 8 élèves, à plein temps. La moyenne d’âge est de 27 ans. Il y a autant de filles que de garçons. Ils sont originaires de six pays d’Afrique. Tous développent un projet personnel. La première promotion s’est baptisée Sembène Ousmane. Il y a autant d’enseignants africains qu’européens.

Les élèves du Master sont d’abord conviés à un voyage cinématographique dans l’histoire du documentaire. Ils voient, avec des intervenants, les films des anciens, de Dziga Vertov à Chris Marker, les films documentaires africains (de Sembène Ousmane, Samba Felix Ndiaye, Paulin Vieyra, etc...), le cinéma littéraire, le film d’archives et le genre animalier et historique.
Puis, ils rentrent dans le "faire" avec la réalisation d’un film collectif. On vainc la peur de la machine, ou vainc aussi la peur de l’autre, qu’on va filmer, on apprend à formuler, à produire une pensée sur les images et les sons que l’on veut obtenir.

En fin d’année, chaque élève réalise son propre film : cinq court-métrages d’une dizaine de minutes chacun sont projetés cette année à Lussas.

Qui finance ce Master ?
Le matériel dont dispose le Master est encore modeste : deux PD170 (dont celle d’Africadoc), un -seul- banc de montage final cut pro, une mixette et un micro directionnel. Le Master de Saint Louis est le petit frère du Master 1 de Grenoble-Lussas, il a été pensé selon le même modèle.

Tout ceci est possible principalement grâce à la dotation de la région Rhône-Alpe, en partenariat avec la région de Saint Louis, qui ne donne pas d’argent mais soutient et facilite toutes les démarches. L’université Gaston Bergé de Saint Louis est en coopération avec l’université Stendhal de Grenoble. Nous souhaiterions que la francophonie se joigne plus largement à notre initiative. L’OIF nous soutient déjà, et heureusement (pour le soutien logistique, le transport des étudiants notamment). Les Belges de l’association "filmer à tout prix" ont aussi accompagné la réalisation des films en tant qu’intervenants. Trois étudiants sont venus faire le montage de leur film à Bruxelles.

Le MAE ne nous soutient pas officiellement. Les gens qui s’occupent du documentaire au MAE viennent d’être laminés. Toute l’équipe a été licenciée. La fermeture du Fonds Image Afrique a été annoncée. Il n’y a plus de financement. Pour nous, l’Etat ne mène plus de politique culturelle audiovisuelle en Afrique. CFI préachète 3 ou 4 films par an lors du tenk. C’est déjà quelque chose. TV5 est aux abonnés absents depuis le départ de Frédéric Mitterrand, il y a trois ans.

Parmi les chaînes africaines, nous avons de bonnes relations avec, par exemple, Kolly Keita à l’ORTM (télévision malienne), Mactar Sylla (télévision camerounaise), la télévision congolaise ou une chaîne privée comme Dunya tv. Ils ont peu de moyens mais ils participent. Il y a aussi aujourd’hui une multiplication de chaînes indépendantes qui sont demandeuses de programmes.

L’europe va-t-elle participer à notre initiative ? Nous avons déposé un projet pour le financement d’une formation au travail de producteur, ainsi qu’un projet visant à la mise en place d’un réseau inter-universitaire entre Nouakchott, Niamey et Bamako. Réponse attendue en novembre !

Une génération de nouveaux réalisateurs de documentaires
Il est important qu’existe une stimulation collective, une véritable contamination !... un métissage, une radicalité complice... Cet ensemble existant, nous voulons former une génération qui aura la culture de ce métier, au sein des universités.

Nous développons une collection appelée "lumières d’Afrique" dans laquelle nous promouvons des réalisateurs singuliers au sein d’un collectif. Khady Sylla, avec Une fenêtre ouverte et Le monologue de la muette, que nous montrons cette année à Lussas, est une auteur qu’Africadoc a accompagné depuis le début : elle est venue nous voir en tandem avec sa soeur Mariama Sylla, productrice. Egalement soutenue par Africadoc comme réalisatrice de plusieurs documentaires, Angèle Diabang Brenner (dont Lussas présente cette année un portrait de la griotte Yandé Codou Sene) va produire le premier documentaire d’une élève formée au Master de Saint Louis, Awa Traoré.

C’est un phénomène nouveau. Cette génération est portée par la conviction d’être une génération pionnière. Le documentaire vit dans une économie de la décence, il n’a pas à prendre d’assaut des forteresses car il se fait avec de petits budgets. Il n’a pas à courtiser le toubab pour obtenir le million nécessaire ! On ’est pas non plus tués par les aînés car il y a peu d’aînés dans ce domaine et comme il n’y a pas d’argent, il n’y a pas de concurrence aussi rude. Parfois, on bricole. Mais du coup, on échappe au pouvoir. On peut faire. Et il y a à faire. Pour moi, la chance historique des pays de tradition orale, c’est que le documentaire donne justement le moyen de retenir la mémoire de cette tradition orale. C’est un enjeu de civilisation. C’est pourquoi il est important que ces formations aient lieu au sein des universités africaines, qu’une élite soit formée à recueillir cette parole.

Que vont-ils devenir après le Master ?
Pour vivre, il faudra qu’ils sachent faire de tout. Du clip, du film de mariage... et pas uniquement du documentaire de création. Il faut aussi savoir qu’il ne faut pas lâcher l’alliance avec l’Europe, être capable d’aller chercher les financements partout où ils existent. C’est important que des Africains fassent des films sur l’Afrique, même si un échange fécond peut venir de la rencontre avec d’autres qui filment l’Afrique.

Propos recueillis par Caroline Pochon (Clap Noir)

Charte de la production équitable : charte du documentaire équitable.pdf
Le site d’Africadoc (francocophone, anglophone et lusophone) : www.africadoc .org/fr

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